Les années-tennis
de Normand Corbeil

critiqué par Libris québécis, le 7 février 2012
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Come to Wimbledon Paradise
C’est sur le court d’un terrain de tennis que des amis dans la vingtaine se mesurent à l’aune de leur raquette. Il s’agit de jeunes hommes sélects de Montréal, comme ce Bob, qui quitte le quartier des raffineries de l’est de la ville pour s’établir dans le quartier huppé de Ville Mont-Royal. Tous canalisent leur raffinement dans de nobles activités. Hormis le tennis, les voyages contribuent aussi à peaufiner la délicatesse de leurs sentiments.

Qui suis-je ? Que veux-je ? Où vais-je ? Autant de questions qui les tarabustent en vieillissant. Chacun des comparses fait l’objet d’un chapitre du roman que l’on peut qualifier de recueil de nouvelles ou de réflexions sur l’existence. L’amitié constitue le fil conducteur de la trame, tissée serrée autour de leurs relations issues de la passion du tennis. C’est la jauge allégorique sur laquelle ils s’alignent pour mener une vie, qui suivrait la trajectoire de la balle du coup vainqueur, Espèrent-ils ainsi que, la mort venue, saint Pierre les accueille en anglais : « Come to Wimbledon Paradise. »

Chaque joueur du match de la vie devrait viser son Wimbledon. « Beaucoup d’appelés, mais peu d’élus », prévient l’Écriture sainte. Le décourageant apophtegme préside au propos sous-jacent du roman. Avec l’âge, ces tennismen réalisent que l’on ne joue pas toujours à la hauteur de son talent. Un personnage meurt dans un sac de poubelle, noué de l’intérieur. Manière plutôt inusitée de s’enlever la vie ! En somme, il s’agit d’un récit métaphysique, qui note avec justesse que les années heureuses de la jeunesse ne sont pas les prémisses d’un avenir de félicité.

Le biais par lequel l’auteur, un professeur de philosophie, aborde le sujet est brillant. Mais le passage de sa discipline à l’art romanesque n’est pas des plus harmonieux. Son roman suit plutôt la facture du recueil de nouvelles que l’on peut lire dans le désordre. Les enchaînements revêtent ainsi un caractère diffus d’autant plus qu’aucun suspense ne supporte l’intérêt du lecteur. C’est sans compter que l’écriture hachurée précipite le discours en abusant de la parataxe et de l’asyndète.

Le roman reste un outil pertinent pour qui se posent les « vraies questions ». Mais on sent tout de même l’esbroufe avec une terminologie disparue du dictionnaire, comme ces tartanes (petits voiliers) baignant dans les baies de la Méditerranée, surplombées par des nuées comparées à celles des toiles de Mark Rothko. La caractérisation comparative n’est pas évidente. Bref, c’est une œuvre raffinée, qui attend, comme le paon, de séduire le lecteur.