Les hommes mutilés de Hermann Ungar

Les hommes mutilés de Hermann Ungar
(Die Verstümmelten)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Leloupbleu, le 5 février 2012 (Inscrit le 5 février 2012, 50 ans)
La note : 2 étoiles
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Lisez Kafka, oubliez celui-là

Deux hommes désignent du doigt les berges d’un fleuve et le premier dit au second : tu vois ces berges, elles ont été façonnées par le temps et le fleuve puissant qui coule encore entre elles. Étonné, le second lui répond : je vois ces berges mais il n’y a rien au milieu, le lit est à sec, du fleuve qui coulait ici, je ne vois plus que des galets et des mauvaises herbes. Alors le premier homme descend un peu plus bas où, pense-t-il, il pourra toucher l’eau et montrer à l’autre son doigt mouillé, preuve irréfutable de l’existence du fleuve. Mais son doigt est sec, et sa certitude devient une fantaisie aussi fâcheuse que l’existence de ce livre.
La tentation est grande de parler de ce roman en commençant par une rapide biographie de son auteur. Commencer par placer l’œuvre dans son contexte est une forme d’aveu, j’en ai la faiblesse, c’est dire que l’œuvre ne se suffit pas à elle-même. On éclaire mieux un objet par le prisme de son histoire, mais l’histoire ne peut, à elle seule, constituer une qualité. Voilà un héros sans épaisseur, dont l’existence oscille entre le rituel et l’effroi, voilà une histoire stupide, qu’on appelle absurde pour tirer au-dessus la couverture de Kafka, et qui, brouillonne, n’a pour seule qualité que de nous faire adorer le sentiment qu’on déteste le plus en nous, la joie de la torture et de la souffrance du plus faible.
Bien, Franz Polzer (le héros) est un enfant mal-aimé, ok, il est un fonctionnaire méticuleux (merci Kafka) bon, c’est un type obsédé par l’ordre et la servitude, pas simple, mais il est en plus extraordinairement con. Et c’est l’attrait principal du livre. C’est le portrait austère d’un con de niveau mondial à qui on finit par souhaiter les pires contrariétés. Et cette vieille odeur de Kafka que l’on renifle au détour des pages ne rend pas hommage à l’immense K, car c’est l’œuvre d’un copycat moyen, à des années lumière du maitre, et dont le mérite et le mystère se trouve dans cette longévité qui le conduit près d’un siècle après sa première parution à se voir honorer d’une telle édition. Je sens en Ungar la tentation de faire de Franz une sorte de figure Christique à minima (l’image récurrente du Saint) corrompu par le monde moderne (le docteur qui l’habille comme un bourgeois et provoque le plus grand trouble de sa vie, tout en lui expliquant : Je le fais en toute innocence, en passant, et ainsi votre fierté n’a pas à se sentir blessée), un être vil, sans volonté, désespéré par la religion qui ne lui accorde aucun autre refuge que des souvenirs hantés de concupiscence. Voici comment ce roman oppose l’ordre à la bestialité, à la bassesse et qui finit par faire de ce petit être médiocre, une forme de bactérie, un con, qu’il faut éliminer, car il tue la joie, la créativité, et l’essence de la nature (il est le seul à négliger les blessures immondes de son ami d’enfance), que la vie me protège d’un tel homme pour qui l’entropie sert de destin singulier, mais c’est bien le mérite de la littérature de nous faire ressentir des émotions contraires à nos postures morales et c’est sûrement le seul intérêt de ce livre. Le seul intérêt hormis ce grand mystère, qu’un aussi grand nombre de gens voit un fleuve ou il n’y en a plus et que la sécheresse d’un livre soit une évidence aussi difficile à défendre.
A conserver précieusement pour caler les meubles.

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