Expériences ordinaires de la médecine : Confiances, croyances et critiques profanes
de Raphaël Hammer

critiqué par Elya, le 29 janvier 2012
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Sociologie et médecine
Le but de ce livre et de l'étude sur laquelle il se repose est de décrire et comprendre la vision et les attitudes du grand public vis-à-vis du système de santé et de réfléchir à la légitimité actuelle de ce dernier. Croit-on encore en la médecine et en la science ? Comment ? Quelles sont les limites qu'on leur octroie ?
Dans un horizon plus large, la médecine faisant entièrement partie de notre culture moderne et de notre environnement quotidien, l'institution médicale doit être à l'image de la société, de ses valeurs et de ses faiblesses.
Pour répondre à ces questions, des sociologues ont interrogé une soixantaine d'hommes suisses au profil homogène, mais différentiables en 3 groupes en fonction de leur catégorie socio-professionnelle ; il y avait des travailleurs manuels, des employés de bureau, et des instituteurs. Les entretiens semi-directifs qui ont été réalisé sont analysés dans cet ouvrage, qui n'oublie pas de réaliser une revue des précédents documents et études sur le sujet.

Dans une première partie, il s'agira d'évaluer les dynamiques sociales vis à vis du secteur de santé depuis les années 80. Celles-ci se caractérisent par une évolution de la relation entre la science et la société, de la relation patient/médecin, et des transformations politiques et administratives du secteur sanitaire.

La seconde partie s'attarde sur les déterminants de la croyance ou du rejet envers la médecine. Le patient lambda croit en la médecine car elle a le pouvoir de guérir, parce que ses compétences sont certifiées, parce qu'elle est garante d'objectivité. Il remet en cause plutôt les aspects politiques et économiques de son fonctionnement plutôt que la compétence et le savoir propre des soignants.

La troisième partie est celle qui m'a semblé la plus intéressante et la plus révélatrice. Il s'agit de décrire la relation soignant-patient et la façon dont s'instaure le sentiment de confiance entre ces deux personnes. L'auteur distingue 5 types de confiance dans laquelle chacun pourra se retrouver et qui sont corrélées au niveau socio-culturel du patient.
La confiance cléricale est celle où le patient loue une confiance aveugle envers son médecin. La confiance pragmatique est celle où on considère son médecin comme bon s'il nous guérit de manière rapide et efficace. La confiance professionnelle nécessite une coopération avec le milieu médical, un recours fréquent aux spécialistes, et une volonté de comprendre ce qui se passe. La confiance affinitaire insiste sur la dimension interpersonnelle du soin, les patients ont besoin d'être écouté et d'apprécier leur médecin en tant qu'homme. C'est ce type de patient qui est le plus à même de se tourner vers médecines dites alternatives. Enfin la confiance rationnelle est ainsi chez ceux pour « la fiabilité du médecin est à la mesure de la reconnaissance de fiabilité de son savoir. »

La dernière partie s'intéresse à la place des médecines alternatives dans le secteur de santé actuel et aux déterminants sociaux, institutionnels, symboliques et pratiques qui fondent leur crédibilité. L'auteur souligne une méfiance fréquente envers les pratiques comme l'homéopathie ou la phytothérapie, mais une adhérence plus forte envers les guérisseurs et autres pratiquants déclarant posséder un don. Ces précédentes pratiques sont évaluées dans leur référentiel propre, les individus font confiance aux témoignages de leur proche.

La conclusion de l'auteur est très clairement énoncée. Les contestations du grand public qui surviennent envers la santé sont plutôt dirigées vers son contexte institutionnel que vers ses valeurs intrinsèques. Les patients sont globalement actifs, critiques et réflexifs. La médecine officielle bénéficie d'une reconnaissance sociale, mais les médecines alternatives sont aussi les miroirs de ses insuffisances.
L'auteur conclu sur ces mots : « Pour beaucoup, le domaine des soins et de la santé constitue le dernier bastion institutionnel où doivent s’exprimer l’altruisme, le désintéressement, la sollicitude, l’humanisme, l’écoute de l’autre… autant de qualités morales perçues en voie de disparition. A cet égard, les menaces pesant sur une médecine à visage humain et social sont caractéristiques des mutations de la société contemporaine. »

Il suffit qu'on s'intéresse un tant soit peu à certain des thèmes abordés dans cet ouvrage (les croyances, la médecine, la société actuelle) pour que cette lecture soit un réel plaisir. Le livre est très abordable, il n'y a aucune notion complexe. Le propos relaté est à la fois instructif, clair et bien organisé. La méthodologie de l'étude sur laquelle se base toute l'analyse a sans doute certaines limites, qui ne sont pas soulignées ici, mais la richesse bibliographique compense.
Une collection dont je m'empresse de noter les références afin de trouver peut-être d'autres livres d'une rigueur et d'une richesse correspondante.