Visite à Godenholm, suivi de "La Chasse au sanglier" de Ernst Jünger

Visite à Godenholm, suivi de "La Chasse au sanglier" de Ernst Jünger
(Besuch auf Godenholm)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Eric Eliès, le 25 janvier 2012 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 9 étoiles
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Un court roman initiatique, caractéristique de Ernst Junger

Ce livre contient un court roman, suivi d'une nouvelle. Tous deux sont très caractéristiques de l'oeuvre de Ernst Jünger écrite après la seconde guerre mondiale (celle écrite avant la seconde guerre est d'une toute autre teneur). Le style est extrêmement lent, majestueux et solennel (parfois empreint d'une certaine lourdeur mais les maniérismes sont moins marqués que dans Héliopolis) et le récit se déploie avec une grâce presque hypnotique. Il s'agit toujours d'une initiation et d'une traversée des apparences, permise par la confrontation avec les puissances de la nature. On sent affleurer chez Jünger un panthéisme archaïque, qui confondrait les Dieux avec les forces de la nature. La dimension politique (évidente dans Héliopolis) est absente mais Jünger, avec des accents nietzschéens (la référence à l'éternel midi), y célèbre l'homme libre, affranchi des faux-semblants, qu'incarne Schwarzenberg.

Visite à Godenholm :
Dans un pays nordique austère et gris, comme plongé dans un crépuscule perpétuel hanté par le vent et les oiseaux de mer, une barque emporte 3 jeunes gens, en quête de vérité, vers l’île de Godenholm où vit Schwarzenberg, un vieux sage reclus. Ces jeunes gens sont très différents. Moltner, un neurologue méridional, est à la recherche d'un guide spirituel. Il a suivi son ami Ejnar, qu’il avait rencontré à la guerre (Moltner était alors médecin militaire) et avec lequel il aimait parcourir la campagne en évoquant la nécessité d’une refondation spirituelle. Ejnar est un archéologue spécialiste de la préhistoire ; homme obstiné et attaché au passé, il a ressenti dans sa chair l’exaltation des batailles et la souffrance de la défaite. Contacté par Schwarzenberg qui lui a fait part de réflexions profondes et originales sur les anciens cultes solaires d’Europe, Ejnar a cessé ses recherches pour se rendre à Godenholm avec Moltner. Ejnar et Moltner se sont liés d’amitié avec Ulma, la fille de leur hôte à Sandnes (séparé de Godenholm par un pertuis étroit), qui connaît Schwarzenberg depuis sa petite enfance. En ce pays souvent isolé par les longues nuits d’hiver, chaque ferme possède sa bibliothèque et les femmes sont à la fois rudes et éduquées. A leur arrivée sur la petite île, ils sont introduits auprès de Schwarzenberg, qui vit dans une ferme surmontée d’un phare. Schwarzenberg s’est installé dans la tour, transformée en bibliothèque, pour recevoir ses invités. Outre les livres, la pièce lambrissée ne contient que de hauts sièges adossés au mur, et est éclairée par des bougies et un feu de cheminée. Extrêmement intelligent, doté d’une grande mémoire et du sens des analogies, Schwarzenberg est un vieil homme au visage altier et au sourire mystérieux ; Ejnar sait que Schwarzenberg a beaucoup voyagé, grâce à la fortune de sa famille, a fréquenté Tolstoï et Sternberg et s’intéresse à toutes les sciences, qu’il considère comme des instruments pour dégager des structures éternelles aux contours incertains, encore enfouies dans l’épaisseur et le cloisonnement des savoirs, mais dont le rayonnement est perceptible à travers l’épaisseur de cette gangue. Moltner, troublé par le silence de Schwarzenberg, lui fait part de son désir de partir car, après avoir longtemps et vainement couru après la connaissance (se consacrant à diverses écoles philosophiques, puis à des pratiques occultes avec le recours de drogues, puis revenant à la religion traditionnelle pour obtenir la paix de l’esprit) et la richesse (pour échapper aux privations de la pauvreté), il se sent nerveusement ébranlé et malade. L’austérité du pays, qui l’avait initialement séduit, lui est devenue insupportable et il doit prendre des médicaments pour surmonter ses crises d’insomnie et ses souffrances. Schwarzenberg l’incite à rester, à ne pas fuir sa souffrance qui n'est que le symptôme d’une évolution. Moltner est mal à l’aise, de même qu’Ejnar et Ulma, en raison des bruits au-dehors qui annoncent la tempête et le surgissement de quelque chose de redoutable et lugubre. Un chien de ferme hurle, au loin, comme le loup Fenrir dont la bave ruisselant de sa gueule forme la Voie lactée. Schwarzenberg pose une question à Moltner, qui en est fortement ébranlé : il lui semble, qu’au dehors, l’Univers est train de basculer pour révéler un secret mortel. Alors, soudain, une étrange paix s’installe dans la pièce et Moltner discerne, dans les torsades subtiles des volutes bleues des bougies et de l’encens, les similitudes entre le déploiement des fumées et le tournoiement des nébuleuses puis, comme surgissant de la lumière, une vague de noirceur le submerge, hantée de monstres marins et de poissons multicolores aux formes étranges qui défilent sous son regard comme une parade terrifiante et merveilleuse dans la fraîcheur et l’irisation des ondes… Un sentiment d’étrange harmonie s’impose à tous, comme si le temps s’écoulait au lieu d’être scandé par l’horloge. Schwarzenberg repose sa question, avec un rictus de souffrance qui semble faire écho à la tempête qui mugit au dehors. Moltner ferme alors les yeux et soudain se voit dans la cour intérieure d’un château aux murailles d’or massif, où règne l’éclat d’une lumière solaire insupportable qui semble anéantir les formes, comme si toute seule vraie force ne pouvait provenir que de l’éclat intemporel et divin du grand Midi. Moltner comprend qu’il a reçu une vision et, comme transfiguré, fait signe à Schwarzenberg, qui l’observe avec une attention grave et cordiale, qu’il a besoin d’un repos pour méditer son initiation. Parallèlement à la vision de Moltner, Ejnar se sent, dans la nuit, guidé par Ulma (dont il tient la main) vers le sommet d’un tertre funéraire abritant un ancien temple, parcouru de lueurs ; alors qu’il redescend vers le fossé défensif entourant le tertre, il perçoit une présence qui se révèle être celle de ses parents, pourtant morts depuis longtemps. Ejnar sent la présence de ses aïeux, en même temps que la nuit s’emplit d’épouvante, de hurlements de loups et de flammes comme à l’aube de la destruction cataclysmique du monde. Au loin, Ejnar discerne Moltner et Schwarzenberg. Alors que son esprit accepte la catastrophe imminente, peu à peu les flammes semblent esquisser des signes et porter l’éclat d’une renaissance ; Ejnar s’aperçoit alors qu’Ulma, qui semble en proie à une vision, irradie elle aussi une lumière qui se mêle à la grande clarté du ciel. L’unité entres tous les êtres, la paix et l’harmonie sont réalisées : la Mère des origines (la Frigga du panthéon nordique) règne dans la lumière de midi. Puis, dans le même temps que Moltner voit vaciller les murailles d’or de sa vision, Ejnar sent que le charme se dissipe.
Tous prennent soudain conscience du temps écoulé depuis leur entrée dans la pièce octogonale, où les bougies sont presque totalement consumées. A l’invitation de la fille de ferme qui leur annonce que le dîner est prêt, tous s’installent dans la salle à manger et profitent de mets simples, avec une acuité sensorielle décuplée. Schwarzenberg observe ses convives en souriant et assigne à Ulma la place d’honneur ; il leur souhaite un bon appétit en espérant les revoir en sa maison, semblable à une auberge espagnole où on ne trouve que ce qu’on y amène avec soi.

Chasse au sanglier :
Dans une forêt enneigée, des chasseurs se sont postés à l’affût en attendant les rabatteurs. Richard, un adolescent de 16 ans qui a toujours rêvé d’un fusil et d’être digne de participer à la chasse, est embusqué avec Breyer, un élève-forestier. Richard, plein de joie, contemple la beauté des bois en observant les oiseaux. Peu à peu, l’agitation lointaine de la chasse rapproche d’eux : branches cassées, cris, sonneries des cors, etc. Soudain, comme dans un rêve, Richard voit débouler un vieux sanglier, puissant et à la face grimaçante comme s’y imprimait le mépris de ce seigneur des bois envers la horde mesquine de ses poursuivants. Breyer tire au jugé dans le sillage des branches cassées. Alors que la fin de la chasse va être sonnée, soudain résonne l’hallali. Le sanglier a été retrouvé mort, dans une clairière enneigée. Breyer est alors félicité par toute l’assemblée et rayonne de joie. Tandis que le sanglier est dépecé, Richard se désolidarise psychologiquement de la troupe qui célèbre rituellement l’élève qui a tué le sanglier, au jugé, d’une balle en plein coeur. Il assiste avec dégoût à la profanation du corps de l’animal. Cette nuit, Richard ne rêve pas du fusil mais du sanglier.

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