Paris insolite
de Jean-Paul Clébert

critiqué par AmauryWatremez, le 13 janvier 2012
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Piétons de Paris
Paris se découvre de multiples façons, à la rigueur en bus, ou en bateaux-mouche, « so romantic », mais surtout à pieds. Ce qui est toujours curieux est que d'ailleurs les habitants actuels de Paris, pour la plupart, ne sortent jamais de leur quartier, ne s'aventurant jamais loin de leur arrondissement. Plusieurs écrivains ont été des amoureux passionnés, des piétons de Paris : dont Paul Léautaud, principalement dans son journal, qui vadrouillait dans toute la ville à la recherche des animaux errants, Bernard Frank, dans « les rues de Paris », arpenteur rêveur des trottoirs de Paris-Paname. Claude Dubois a également évoqué dans son livre sur le Paris populaire, en partant de la Bastoche quand Clébert lui affectionne les quais de Seine et Châtelet, une atmosphère de quartiers qui se serait totalement évaporé, tout comme « monsieur Bob » (comme on le voit dans sa biographie par Olivier Bailly), alias Robert Giraud, un copain de bitures occasionnelles de Jean-Paul Clébert, le laisse souvent entendre, sans oublier Lorant Deutsch qui connait cette ville et son histoire comme sa poche.
Évidemment, messieurs dames, ça fait moins chic de citer ce dernier dans une liste d'ouvrages sur ce sujet, moins mignon assoiffé comme une rosière de la reconnaissance de sa bouchère. Mais c'est Paris qui veut cette diversité et que l'on ait aucune prétention quand on écrit sur elle.
N'omettons donc personne...
L'auteur de ce livre a été successivement résistant, puis clochard dans Paris, bohème, complètement libre, autodidacte et écrivain libertaire tendance Brassens, poète, historien distingué, du Lubéron, où il habite aujourd'hui, et de son amoureuse, son amante, qui sait se montrer sous sa plume exotique, sensuelle, violente parfois, et même un peu saugrenue, Paris encore.
Il en parcourt les rues, écoutant les conversations dans les bistros, où se mêlaient à l'époque tous les milieux, ce qui est moins évident maintenant. Il décrit la vie des personnages qu'ils croisent, le côté villageois des salles de « bougnats », car Paris est aussi une ville rurale, les clochards organisés en micro-société avec ses règles bien précises..
La nostalgie concernant ce Paris qui aurait complètement disparu de nos jours m'apparait souvent comme mal placée. Certes, les bourgeois dits bohèmes colonisent les quartiers de la ville progressivement, en détruisant méthodiquement semble-t-il l'identité. Mais il reste des endroits secrets, dont je me garderai bien de parler ici afin qu'ils le restent, et authentiques dans le Paris festiviste de 2012. Ce qui est agréable dans le livre de Jean-Paul Clébert, c'est que justement, il n'a lui aucune espèce de nostalgie dans ce genre.
Céline et Proust ont parlé dans leurs romans, d'un milieu à l'autre, de « Paris-Pantruche », le bourgeois pour l'un, et de manière je pense la plus intéressante dans « le Temps retrouvé », celui des milieux clinquants et confortables, celui des invisibles pour l'autre. Les errances de Bardamu dans « le Voyage au bout de la nuit » ne sont pas très éloignées non plus de celles de Des Esseintes dans « Là-bas » de Huysmans où la « Ville-Lumière » prend des allures de Babylone sombre et fantastique, fascinant et étrange.
La nuance que l'on peut apporter à une critique du livre de Clébert, c'est ce goût pour finalement un Paris qui n'a jamais existé réellement ailleurs que sur les photos de Robert Doisneau, auquel on est en droit de préférer Willy Ronis, plus authentique, moins metteur en scène de ses portraits de « Paris-Pantruche ».
Dans le livre de Clébert, une putain c'est une putain, elle a les chairs qui s'affaissent vite et souvent elle écluse dés huit heures du matin, à moins que ce ne soit elle qui ouvre un bistrot et fasse boire les autres, un clodo qui boit du picrate ramassé à l'éponge sur le comptoir des bars c'est crade, c'est affreux, ça parle fort, ça dit surtout des âneries et ça pue, rien de pittoresque là-dedans, et en plus il n'est même pas sûr qu'il parle comme dans un film dialogué par Michel Audiard qui lui le connaissait bien mieux que « monsieur Bob », le copain de Clébert, le petit peuple des zincs, tout comme Blondin qui y noyait sa détresse.
De plus ce Paris pseudo « populaire » des photos de Doisneau justement, qui finalement ressemble à celui vu par Jeunet dans son chromo, « Amélie Poulain », il n'existe pas, on oublie les odeurs de chou dans l'escalier, ou pire, le cloche qui dégueule à l'entrée de l'immeuble, les salauds qui ont les mains baladeuses avec les gamines, les lieux d'aisance sur le palier et un seul lavabo pour six familles.
Au cinéma, c'est pittoresque, mais seulement au cinéma. Les gamins qui rigolent avec les boutanches de « trois étoiles », ils rigolent pour le photographe, ils ne rigolaient pas toujours, ils arrêtaient l'école vite souvent, pour aller au turbin comme les grands, ils passaient les vacances dans les squares en rêvant de plages et d'océans, les amoureux qui se roulent une galoche devant l'appareil de Doisneau ne l'étaient même pas, amoureux.
On aurait pu citer également Marcel Aymé, on aurait pu citer Courteline, capables tous les deux de s'installer quelque part sans décréter ce qui ferait coquet ou non dans leur musée personnel, sans jouer les poètes, les yeux ils les avaient déjà dans les étoiles, pas la peine d'en rajouter dans le frisson et le sensitif, dans l'argot que l'on ne peut trouver que dans les dictionnaires, que personne n'a jamais parlé.

Ouvrages cités :
Olivier Bailly, Monsieur Bob, Stock collection « écrivins », avril 2009, 182 pages, 13,78 €
Bernard Frank, Les rues de ma vie, Le Dilettante, 2005, 218 pages, 14,25 €.
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, Gallimard collection « Folio », 1972, 505 pages, 8,45 €.
Joris Karl Huysmans, Là-bas, Flammarion collection « Garnier/Flammarion », 1993, 310 pages, 6,30 €.
Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, tome 7 : Le Temps retrouvé, Gallimard collection « Folio », 1990, 447 pages, 7,80 €.
Lorant Deutsch, Métronome : L'histoire de France au rythme du métro parisien, Éditions Michel Lafon, septembre 2009, 380 pages, 17,90 €.