Le couronnement impérial de Charlemagne : 25 décembre 800
de Robert Folz

critiqué par Jlc, le 12 janvier 2012
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Naissance d'une identité
Au moment où les pays de l’Union Européenne et notamment l’Allemagne et la France ont en charge le sauvetage de l'idée d’Europe, il est intéressant de se replonger dans nos racines communes dont la manifestation la plus symbolique demeure dans nos mémoires le couronnement impérial de Charlemagne, le jour de Noël 800. D’autant que nous sommes guidés par le grand historien Robert Folz.

« Le couronnement impérial de Charlemagne » est publié dans la collection « Les journées qui ont fait la France », collection qui malheureusement semble interrompue. Charlemagne serait donc français quand d’autres le présentent allemand. En fait la France n’existait pas alors -on parlait du royaume des Francs- mais « quand la royauté française a pris conscience de son identité, c’est Charlemagne qu’elle a invoqué. » Quant au couronnement, s’il est un événement qui a fait date dans l’histoire, il se révèle à la fois complexe et méconnu.

Robert Folz, avec beaucoup de prudence et de sens des nuances, signes d’une grande probité, analyse, avec la clarté caractéristique des grands universitaires, les étapes majeures qui vont de la restauration d’une « dignité éteinte depuis trois siècles », le couronnement impérial, à l’affirmation de la royauté française par Philippe Auguste. Il le fait en analysant le contexte de l’événement et notamment le rétablissement de l’Etat Franc, en racontant la cérémonie avant de constater la désagrégation de l’Empire, dans les faits mais point dans l’esprit des hommes pour qui Charlemagne va rester un modèle de grandeur et d’indépendance avant de devenir une légende.

Les Carolingiens ont restauré, à partir du sixième siècle le royaume des Francs mis à mal par les Mérovingiens Les chefs ne sont plus les rois qui ont été dépossédés de leurs pouvoirs par les « maires du palais ». Ceux-ci vont devoir trouver une nouvelle légitimité venant se substituer à la légitimité dynastique des Mérovingiens. Ils seront aidés en cela par l’Eglise qui reconnaîtra l’élection du roi par l’Assemblée des Francs puis son sacre.
Quand Charlemagne accède au pouvoir, en 768, l’Etat est restauré dans son unité et s’appuie sur une clientèle de vassaux et sur l’Eglise. Les premières années du règne, assez ternes, sont dans la continuation de la politique de son père, marquées aussi par l’expédition désastreuse en Espagne pour combattre l’Islam et dont nous sont restées des chansons de geste dont celle de Roland au XI° siècle. A partir de 779, Charlemagne donne à sa politique un tour plus personnel en affermissant son autorité, ce qui ne va pas sans des troubles qui conduisent le roi à rétablir l’usage ancien du serment d’allégeance à sa personne. Puis le royaume s’étend à des peuples différents ethniquement et culturellement mais qui vont avoir deux points communs : le roi avec son appareil administratif et le christianisme, les deux étant liés. L’Eglise voit son rôle d’auxiliaire de l’Etat renforcé. La contrepartie de cette « pénétration du spirituel et du temporel » sera notamment le prélèvement de la dîme qui devient obligatoire et dont le produit est réservé aux églises rurales. Pour mettre fin à l’inculture qui avait succédé à la période antique, Charlemagne entend donner une éducation, notamment religieuse, avec l’objectif d’une école par paroisse. S’il « est préférable de bien agir que de beaucoup savoir, encore faut-il savoir bien faire ». Cette réforme en précède d’autres telle une grande réforme judiciaire avec l’introduction de l’écrit.
Cette relation étroite entre l’Etat et l’Eglise est nourrie d’un débat théologique pour déterminer la prédominance du roi ou du pape et ce au moment où l’Empire byzantin s’étiole. Si saint Augustin, dans « La cité de Dieu », a dénoncé le danger d’une connexion trop forte entre l’Eglise et l’Empire, d’autres reconnaissent une origine divine à l’autorité royale dont une des missions est dés lors d’être le protecteur de l’Eglise. Il y a séparation et coopération des pouvoirs et le pontificat d’Hadrien (772-795) se veut marqué par l’indépendance de la papauté entre l’ancien empire d’Orient et la nouvelle monarchie qui s’installe à Aix la Chapelle. Le pouvoir royal serait en quelque sorte une délégation de pouvoir.
A ce point de l’histoire, trois réalités s’imposent : une royauté prestigieuse, le rang quasi impérial de Charlemagne et la tradition constantinienne (Byzance) que le nouveau pape, Léon III, s’efforce d’orienter sur le roi des Francs. Mais le pape est accusé « d’actes criminels et scélérats ». Charlemagne le soutient et pour le réinstaller lui fait prêter le 23 décembre 800 le serment purgatoire qui le lave de tout soupçon, aucune preuve n’ayant été apportée par les conjurés qui seront d’ailleurs condamnés peu après. En récompense de ses bons offices, le pape a-t-il promis à Charlemagne la dignité impériale ? C’est possible mais le pape n’a pas été le seul à faire cette offre puisqu’elle a été aussi proposée par le concile alors réuni. Tout à fait extraordinaire est la transformation de Léon III, quasi accusé le mercredi et devenu « dispensateur de la dignité impériale » le vendredi. En effet l’acclamation de Charlemagne par ses vassaux a eu lieu après le couronnement par le pape et non avant comme le voulait la tradition byzantine. On peut y voir la poursuite de la querelle sur la prééminence du temporel ou du spirituel. Charlemagne a-t-il accepté à regret cette dignité ? Un de ses familiers le croit mais il est le seul et Folz considère au contraire qu’il suivait une ligne de conduite dictée par les intérêts de son peuple et la cause de son propre prestige. Il a su attendre l’occasion
Dans sa sagesse, le nouvel Empereur essaiera de pacifier ses relations avec l’empire de Constantinople ce qui prendra du temps et se conclura par la reconnaissance de deux empereurs égaux en qualité et en droit. L’unité de l’Eglise doit soutenir l’unité de l’Empire puisque celui-ci se définit par la religion de ses populations. La dignité impériale a un caractère éminemment religieux.
Charlemagne prépare sa succession mais trente ans suffiront pour jeter à bas cette construction et c’est l’Empire qui va devenir un office de l’Eglise qui inspirera et contrôlera les rois.

Cette fin ne doit-elle pas nous inciter à la réflexion quant au devenir de l’Europe moderne ? Ce qui a été fait si patiemment, aux huitième et neuvième siècles, fut détruit en quelques années. Ne courons nous pas un risque similaire ?

Ce livre se lit avec grand plaisir car écrit par un érudit il s’adresse à un large public.