Impostures intellectuelles
de Jean Bricmont, Alan D. Sokal

critiqué par Elya, le 25 décembre 2011
(Savoie - 34 ans)


La note:  étoiles
Philosophie postmoderne et sciences "exactes"
Alan Sokal a fait parler de lui dans les années 90 suite à la parution d’un de ses articles dans une revue culturelle américaine assez renommée. Cette revue en vogue à l’époque publiait des textes dont les auteurs revendiquaient appartenir au courant de la philosophie postmoderne, qui rejette de manière plus ou moins explicite la « tradition rationaliste » au profit des croyances plus subjectives. Le titre de l’article de Sokal était « Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique ». Inutile d’essayer de décrypter ce que cela signifie ; Sokal était un imposteur dénonçant les impostures intellectuelles. Il savait très bien que son article, bien que bourré d’un jargon scientifique et pseudo-scientifique entrainant un discours obscur, n’avait en fait aucun sens, si ce n’est de dénoncer justement ce qu’Alan Sokal et Jean Bricmont considèrent, de manière un peu radicale parfois, comme une nouvelle forme d’obscurantisme.

L’introduction permet de revenir sur l’affaire Sokal et la définition du postmodernisme en sciences humaines et philosophie. Les 2 auteurs dénoncent ce courant intellectuel qui utilise le vocabulaire et les concepts des sciences exactes de manière abusive et inappropriée, afin d’écrire des textes qui semblent d’apparence difficiles et profonds mais qui n’ont en réalité aucun sens.

Ensuite des textes de différents psychanalystes, sociologues et philosophes renommés seront analysés par nos 2 physiciens. Parmi les personnalités critiquées les plus connues, on trouve Jacques Lacan, Jean Baudrillard et Gilles Deleuze. Ces différents chapitres sont assez ardus mais donnent un bon aperçu des petites perles que l’on peut trouver chez ces auteurs. Je n’ai pas résisté à recopier ce passage tiré de l’oeuvre de Gilles Deleuze :

« On voit bien ici qu’il n’existe aucune correspondance bi-univoque entre des chaînons linéaires signifiants ou d’arché-écriture, selon les auteurs, et cette analyse machinique multidimensionnelle, multi référentielle. La symétrie d’échelle, la transversalité, le caractère pathique non discursif de leur expansion : toutes ces dimensions nous font sortir de la logique du tiers exclu et nous confortent à renoncer au binarisme ontologique que nous avons précédemment dénoncé. Un agencement machinique, à travers ses diverses composantes, arrache sa consistance en franchissant des seuils ontologiques, des seuils d’irréversibilité non linéaires, des seuils ontogénétique et d’autopoïèse créatives. »

En fait les chapitres les plus intéressants du bouquin sont ceux expliquant le relativisme cognitif en psychologie des sciences (remettant en cause le fait que l’on peut obtenir une connaissance plus ou moins fiable du monde.), la théorie du chaos (chaos signifiant en fait selon cette théorie mathématique « sensible aux conditions initiales ») et l’épilogue. Celui-ci revient sur les sources intellectuelles et historiques du postmodernisme et du relativisme et sur le potentiel danger notamment dans le plan culturel du développement du postmodernisme.

On peut peut-être reprocher aux auteurs leur ton parfois un peu virulent. Ce qui m’a gêné est aussi l’absence de références envers des études sociologiques (basées sur des faits et non des opinions) afin d’étayer leur dernière partie relative aux effets néfastes du post modernisme, même si cela semble une évidence. Ce qui semble un peu un comble pour un ouvrage soulignant l’importance des tests empiriques ! Cependant, cela reste une lecture très instructive, très surprenante et très actuelle à l’heure du développement du créationnisme, des psychothérapies et autres pseudo-sciences…