Entretiens avec le bourreau de Kazimierz Moczarski

Entretiens avec le bourreau de Kazimierz Moczarski

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire , Sciences humaines et exactes => Psychologie

Critiqué par Radetsky, le 21 décembre 2011 (Inscrit le 13 août 2009, 81 ans)
La note : 10 étoiles
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Conversations avec le diable

Kazimierz Moczarski fut l'un des membres actifs de la Résistance polonaise (Armia Krajowa) liée au gouvernement en exil à Londres et occupa à ce titre divers postes de responsabilité dans son pays occupé par les Allemands. Après que les nazis eurent été chassés de Pologne en 1944 par l'Armée rouge, s'installa un gouvernement populaire. Comme l'URSS était toujours sous la coupe de Staline, les nouveaux responsables policiers se mirent à faire la chasse à quiconque pouvait représenter, de près ou de loin, une opposition ou un frein même minime à l'installation d'un nouveau totalitarisme. On se mit donc à poursuivre... les Résistants. Ceux en tout cas qui, non contents d'avoir lutté contre Hitler dans des conditions effroyables, pouvaient se révéler d'habiles et opiniâtres ferments de lutte contre les pratiques staliniennes. L' A.K. dans son ensemble se retrouva donc parmi les "ennemis" de la Pologne "populaire" et c'est à ce titre que Moczarski fut emprisonné en 1945 sous des accusations absurdes et scandaleusement mensongères (comme si l'AK avait été en quelque sorte un allié de Hitler...). Il allait passer onze années en captivité, subissant interrogatoires, chantages, tortures, bref tout l'arsenal employé par les geôliers du monde entier afin de briser leurs victimes et leur arracher des "aveux" de culpabilité lesquels, pour invraisemblables qu'ils fussent, conduiraient à la liquidation physique de l'intéressé. Mais auparavant, il fallait obtenir aussi la liquidation psychique, morale, du prisonnier, en le conduisant progressivement à l'abdication de toute dignité, au reniement du sens de son combat passé, à l'abandon de tout ce qui fait un être humain digne. Au nombre des moyens de pression utilisés par les sbires staliniens, on trouva intéressant de faire sentir à Moczarski tout le mépris dont on voulait qu'il fût convaincu de la part de ses bourreaux ; c'est ainsi qu'on l'enferma le 2 mars 1949 dans une cellule de la prison de Mokotow à Varsovie, où se trouvaient déjà deux hommes, deux Allemands. L'un avait fait partie de l'administration policière nazie, l'autre n'était autre que le général SS Jürgen (Josef) Stroop, organisateur de la liquidation en avril-mai 1943 du ghetto de Varsovie et de la déportation des survivants vers Treblinka...
Moczarski se vit donc subitement entouré d'ennemis, aussi bien dans sa cellule qu'à l'extérieur ! Loin de s'en trouver démoralisé, et habitué à affronter des situations difficiles, notre homme entreprit progressivement, pendant neuf mois, de sonder l'âme (si tant est que ce terme s'applique ici) de ses codétenus et tout particulièrement du Gruppenführer-SS Stroop, déjà jugé et condamné à mort par un tribunal militaire américain pour crimes de guerre.
Moczarski a mené patiemment, minutieusement, jour après jour, et ensuite retranscrit (après sa réhabilitation et sa libération en 1956), grâce à une excellente mémoire, cette enquête peu banale sur un spécimen particulièrement odieux de la barbarie nazie, sa psychologie, son éthique, ses réflexions d'ex-hiérarque pratiquement sûr de finir au bout d'une corde. Il a pu bénéficier du statut particulier que partagent des prisonniers assurés ou presque de finir sur l'échafaud : alors que tout espoir de survie est réduit à presque rien, on se "lâche" plus facilement, on répugne moins à se confier à quelqu'un qui partage le même destin. Une étude attentive donc, qu'il entreprit de commencer en partant de l'enfance de Stroop, sa famille, ses fréquentations, son caractère, son degré d'intelligence, le milieu social et politique où il avait grandi, le genre de système culturel privé et commun où il s'était progressivement, laborieusement, aménagé une place. Pour résumer les étapes de la vie d'un type finalement médiocre et voué aux tâches subalternes, disons que les maîtres mots qui l'aidèrent à obtenir des responsabilités effarantes d'inhumanité, sont "obéissance", "ordre"...et vanité, ambition mesquine, sens moral atrophié par le nazisme. Je ne donne pas la conclusion finale que tira Moczarski de cette cohabitation hors normes : elle est à la fois stupéfiante et attendue, comme l'ont été les propos du nazi-type aux prises avec ses fantasmes mortifères.
Le "socialisme des imbéciles", ainsi a-t-on pu qualifier l'idéologie hitlérienne. L'expression est ici vérifiée en tout point. L'ennui avec les imbéciles, lorsqu'ils disposent d'un pouvoir illimité, est qu'ils l'utilisent pour accomplir des atrocités. En Pologne, en Ukraine, un peu partout pour faire bref, ainsi que ce fut le cas pour Stroop qui fut à nouveau condamné à mort et pendu en mars 1952.
On ne peut s'empêcher de comparer ce travail au livre de Robert Merle consacré à Rudolf Höss, commandant d'Auschwitz...
La genèse du livre et la biographie de l'auteur sont bien illustrées, tant par le préfacier que par la belle et instructive postface d'Adam Michnik (ancien responsable de Solidarnosc) qui va bien au-delà de la modestie et de la retenue de Moczarski quant aux caractéristiques de la société polonaise, avant, pendant et après la seconde guerre mondiale.

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