Sans amour
de Pierre Pachet

critiqué par Cyclo, le 12 décembre 2011
(Bordeaux - 78 ans)


La note:  étoiles
un livre rempli d'amour
Pierre Pachet, explore ici l'univers des vieilles dames, ce qui se passe quand on se retrouve seul et ayant perdu son amour, veuve par exemple (ou veuf, il parle un peu de lui, mais il parle surtout des femmes de son entourage, de celles qu'il a connues dans son enfance et sa jeunesse, ces femmes dont il avait l'impression qu'elles étaient des femmes sans homme). Il s'interroge : "Que devient le corps intouché ? […] le corps s'abandonne peu à peu, avec notre complicité, il se résigne. Il s'habitue à mourir à lui-même. Il s'éloigne de soi. Il n'y pense pas (on n'y pense pas). Le corps se désintéresse de la chose, laissant l'esprit seul avec les stimulations diverses, ce qu'on voit, ce dont on se souvient avec regret et amertume". Eh oui, l'auteur a perdu sa femme, il se dit "parvenu moi-même à un âge où je comprends ce que signifie renoncer à des possessions et se faire aussi léger que possible pour dire adieu". En effet, quand "il faut continuer à prendre soin de soi, un risque s'ouvre chaque jour, moment après moment, une bifurcation, un doute : pour qui faire cet effort souvent pénible, en pensant à qui ou à quoi ?" On est là dans le domaine du corps, de ce corps qui devient effectivement intouché, et peut-être intouchable si on n'en prend pas soin.
Mais "Sans amour" est aussi et surtout un livre sur l'amour humain au sens très large, et sur ses diverses composantes. Car toutes ces femmes sans hommes aimaient les autres, les enfants, les malades, les blessés de la vie. Peut-être parce qu'elles avaient été irrémédiablement blessées elles-mêmes, qu'elles souffraient de n'avoir pas été aimées ? Et lui-même, Pierre, n'a-t-il pas accompagné avec beaucoup d'amour sa femme : "en particulier lors de sa maladie, j'ai eu à me tenir presque impuissant à côté d'elle alors qu'elle était menacée puis condamnée, qu'elle avait à se préparer, dans la douleur, à sa mort. Je n'ai pas éprouvé ce qu'elle éprouvait, j'ai éprouvé que je ne pouvais pas l'éprouver, mais j'ai été là, à ma place". Oui, il était là, impuissant certes, mais tout proche, observant qu'elle "avait rejoint son propre renoncement, l'avait établi et le renforçait de jour en jour dans la solitude de chacun des endroits de son corps".
On retrouve ici ce thème du renoncement auquel tout être humain est confronté un jour : il faut bien renoncer à la jeunesse et à la beauté qui y est liée (sinon on devient comme la marâtre de Blanche-Neige, on persécute les jeunes qui vont nous supplanter!), il faut renoncer au monde du travail – qui pour certains, constitue le seul mode d'appropriation du monde, et la retraite les voit désemparés, – il faut renoncer au conjoint qui nous quitte (c'est de plus en plus fréquent, avec le vieillissement prolongé), il faut renoncer à la bonne santé aussi quand la maladie nous frappe (et c'est toujours injuste) et, un beau jour, il faut renoncer sans doute à l'amour physique aussi. Ça n'empêche pas de garder "confiance dans la vie (dans l'avenir de la vie, parce que c'est de ça qu'il s'agit)". Il suffit pour cela de rester simple, tel qu'on est, et de se méfier des maux qui peuvent entacher la continuation de la vie : "la grandiloquence, l'excès, la surévaluation de soi, l'exhibition".
Un livre de vie, sublime...
Mots d'un homme, mots d'amour... 10 étoiles

...et débuter une "critique" par la dernière ligne de Cyclo:
"Un livre de vie, sublime..."

Oui, "Sans amour", c'est tout cela si bien résumé: offrir au lecteur des parcours de vie(s) de femmes solitaires- par choix personnel ou, plus souvent, par ces non-choix contraints que sont toutes les séparations diverses de la vie- de femmes esseulées, oubliées, qui se retranchent, se cloîtrent chez elles et en elles, s'isolent, s'excluent et pour lesquelles "la plénitude d'un assouvissement" (du désir), ce "sentiment d'accord avec la vie..., cette volupté rayonnante... les voici qui peu à peu se dissolvent, s'évaporent, se diluent en nous (elles) et de là vont se perdre dans le sable du monde. Du temps s'écoule, comme une perte de substance."

En nous offrant ces exemples de son vécu d'expériences personnelles voire intimes parfois, l'auteur pointe par ses mots tous les déserts que sont les vies de femmes "d'âge mûr" (sic) solitaires, esseulées, isolées et, au final, résignées.

Oui, sublime hommage à ces femmes qui, peu à peu, finissent par ne plus tenter "de retenir le temps en le scandant, en ne le laissant pas s'abîmer dans l'absence d'espoir"...

Pierre Pachet a su magnifier, par ses mots, la femme que l'on dit "d'âge mûr", celle qu'il a voulu véritablement connaître pour savoir et dire: des mots d'amour, simplement.

..."L'amour n'est qu'une possibilité"...

Laventuriere - - - ans - 2 janvier 2012