Histoire d'un Allemand : Souvenirs 1914-1933
de Sebastian Haffner

critiqué par Bolcho, le 17 août 2002
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
"Cabaret"...
L'originalité profonde de ce bouquin est multiple. D’abord, il est écrit en 1938 mais l'intelligence, la lucidité, la prescience de l'auteur sont telles qu'il donne l’impression d'avoir été écrit après la seconde guerre mondiale, après l'holocauste. Ensuite, Haffner nous raconte l'histoire de l'Allemagne de 1914 à 1933 à partir de sa propre personne : comment il a vécu les événements qui ont fait l'Histoire. Cela donne lieu à des hypothèses fulgurantes comme celle qui explique le nazisme à partir de la première guerre mondiale. Banal dites-vous ? Ah non, pas sous la plume de Haffner. Ce n'est pas le schéma d'explication classique, ressassé, qui met en cause le besoin de revanche, le paiement des dommages de guerre et la crise économique. Haffner nous parle d’enfants, de résultats sportifs et d’affiches sur les murs. Et c’est très convaincant. Allez voir. C’est à mon sens un livre essentiel pour comprendre la période de l’intérieur. Il passionnera ceux que l'Histoire intéresse et le personnage de l’auteur est diablement sympathique.
Je me contente de vous laisser quelques extraits pour vous allécher. Pour le reste, jetez un coup d’oeil sur le verso du livre.
« (…) tel événement historique passe sur la vie privée –qui est la vraie vie- comme un nuage au-dessus d'un lac : rien ne bouge, on aperçoit tout juste un reflet fugitif. Tel autre agite l'eau à la façon d’un ouragan, au point que le paysage en devient méconnaissable. Quant au troisième, il sera peut-être capable d'assécher tous les lacs »
« (.) comme tous les Allemands de ma génération, mon expérience de l’histoire contemporaine avait profondément ancré en moi le sentiment que toutes choses sont incertaines et imprévisibles. L'homme prudent, c’était notre impression à tous, risque tout autant que l’audacieux, mais renonce en outre à l'ivresse de l’audace ».
« La disparition définitive de tout ce qui a accompagné sa vie en lui donnant un sens est plus difficile à supporter pour le vieillard que pour le jeune homme. Pour moi, l'adieu le plus radical était en même temps un nouveau départ, pour lui [son père], c'était un adieu définitif. Il était peu à peu envahi par le sentiment d’avoir vécu pour rien. »
« Les idées avec lesquelles on nourrit et ébranle les masses sont puériles à n’y pas croire. Pour devenir une force historique qui mette les masses en mouvement, une idée doit être simplifiée jusqu'à devenir accessible à l’entendement d’un enfant.»
Je ferais bien un commentaire à propos de cette dernière idée, mais nous ne sommes pas ici pour faire de la politique, n'est ce pas…
La logique de l'absurde 8 étoiles

Livre visionnaire, compte tenu du fait qu'il a été écrit avant la seconde guerre mondiale.
Comment un peuple, majoritairement opposé à Hitler et au nazisme a-t-il pu basculer dans l'horreur ? Le processus conduisant à une telle monstruosité est analysé avec rigueur. On se dit, en décortiquant ce mécanisme froid et implacable, qu'il peut tout à fait se reproduire. Et pas uniquement en Allemagne...
Les peuples sont manipulés. Bien souvent avec leur consentement inconscient. Il y a là de quoi inquiéter. Plus jamais ça ? Pas si sûr, hélas.

Bernard2 - DAX - 74 ans - 19 mai 2018


Comme une évidence 10 étoiles

Avant d'avoir lu ce livre, je m'étonnais, je dois l'avouer, qu'un peuple si instruit ait pu laisser Hitler parvenir au pouvoir.
Ce livre, d'une fluidité incomparable, en viendrait presque à me faire me poser la question inverse: comment des personnes ont-elles réussi à y voir clair...? (dont l'auteur, bien que ce ne soit pas "si simple" pour lui).

Ce livre fait partie pour moi des rares ouvrages dans lesquels je retrouve des pensées, qui, chez moi, se présentent de façon assez confuse, presque inconsciente, sans ordre ni formulation. Elles y sont écrites et décrites de façon magistrale. A lire et relire, ne serait-ce que comme un "idéal à atteindre" devant toute forme de politique....

Lucile - Stockholm - 35 ans - 18 décembre 2010


Au coeur des choses 9 étoiles

Sebastian Haffner, « conservateur et farouchement individualiste » est issu de la bourgeoisie prussienne où on avait le sens de l’Etat et de ses devoirs. Ses dons d’observation de son temps et de son pays, jointes à un caractère fort, vont en faire un anti-nazi inébranlable qui a dès 1933 le pressentiment de la dictature qui allait détruire l’Allemagne.

Son analyse est d’une pertinence remarquable quand il décrit la société germanique de l’entre deux guerres. Chez cet enfant de onze ans en 1918, la guerre « avait laissé notre vie de tous les jours intacte [alors que] la révolution [de 1919] apporta de nombreux changements dans la réalité quotidienne… Au grand jeu de la guerre succèdent les leçons décevantes de la révolution puis, vers 1923, l’effondrement de toutes les règles, la banqueroute de l’âge et de l’expérience… Une jeune génération sans habitude et sans tradition [est ouverte] non pas au nazisme mais à n’importe quelle aventure abracadabrante ».

Il décrit admirablement bien cette relation entre la vie privée et l’histoire qui se fait, non point celle des dates et des journées dites historiques, mais plus profondément celle qui change un peuple, insidieusement mais inexorablement. Haffner a d’ailleurs un mot révélateur quand il observe l’influence de l’inflation galopante et destructrice sur la vie sentimentale des Allemands. « L’amour lui-même avait pris un caractère inflationniste. Les jeunes gens qui apprenaient l’amour firent l’impasse sur le romantisme pour étreindre le cynisme. » Petite remarque, presque anecdotique, mais qui mêlée à bien d’autres observations dresse le portrait d’une société qui par frustration et ennui va se donner aux nazis.

Ensuite il raconte avec une grands intelligence comment, à partir de 1933, la machine nationale-socialiste va broyer tout individualisme. Certes si « toute la façade de la vie normale reste intacte », la chasse aux juifs, aux intellectuels, à toute opposition est ouverte, aidée en cela par la dépression brutale qui va toucher une partie de la classe ouvrière trahie par la capitulation de l’opposition de gauche, par la stupidité de la droite parlementaire qui croit avoir berné Hitler en lui offrant la direction d’un gouvernement dit de coalition et enfin par la faiblesse morale de l’Allemagne.

Tout ceci conduit à la victoire terrifiante de rapidité et de méthode du schéma mental des nazis dont l’objectif majeur est la « décivilisation » de la population. Pour cela on met en place, entre autres, des organisations de camaraderie obligatoire pour réduire le rôle individuel de chacun. On exploite aussi le culte de l’absolu qui, pour Haffner, est une particularité allemande qui veut qu’on accomplisse excellemment ce qu’on vous demande, aussi absurde et incompréhensible soit-il.

Le résultat est la destruction du caractère national dont la valeur spécifique se désagrège en un nationalisme exacerbé, « narcissique et pathologique ». Dés l’été 1933, Haffner considère toute résistance collective impossible, la résistance individuelle n’étant plus qu’une forme de suicide ce qui renvoie au roman magnifique de Hans Fallada « Seul dans Berlin », écrit un quart de siècle plus tard. Et quand il répond « sans réfléchir » à un quidam inquisiteur que oui, il est aryen, il est immédiatement submergé par un sentiment de honte et d’humiliation mais dépasse son drame individuel pour tenter de comprendre l’acceptation de cet engrenage inéluctable et général qui, sans le choix de l’exil, pourrait conduire à tous les reniements.

Ces souvenirs sont un document fondamental pour comprendre ce qui s’est passé et essayer, chacun de nous, d’en tirer des leçons et des lignes de vie. Il est passionnant à lire car Haffner est profondément humain, doté d’une grande noblesse de caractère. L’auteur note que « les relations historiques contiennent le contour des choses et non les choses elles-mêmes ». « Histoire d’un Allemand » est au cœur des choses et c’est ce qui en fait un grand livre.

Jlc - - 80 ans - 2 mai 2010


Un livre très intéressant! 8 étoiles

Voila un livre peu commun sur un sujet tellement vu et revu! L'auteur (non juif), écœuré et déçu par son pays gouverné par les nazis, s'exile avant la seconde guerre mondiale. Il nous décrit avec une fine analyse comment le nazisme s'est installé peu à peu en Allemagne pour être définitivement assimilé par le peuple allemand. C'est un livre intelligent et très bien écrit qui nous permet de comprendre comment les évènements survenus pendant et après la première guerre mondiale ont amenés le nazisme et "le sauveur" de l'Allemagne (Hitler) que les Allemands, après l'échec et l'humiliation de la guerre, demandaient.

Un livre essentiel dans sa bibliothèque!

Rouchka1344 - - 33 ans - 21 février 2010


Intéressant et effrayant 9 étoiles

L’histoire d’un Allemand est l’histoire de Sebastian Haffner, entre 1914 et 1933. Ses souvenirs de la première guerre mondiale, alors qu’il n’était qu’un gamin jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933.

Un témoignage intéressant et effrayant, de par la simplicité et qualité de l’écriture, la vision de la société allemande et de par la clairvoyance de l’auteur. Haffner relate la vie de tous les jours d’une personne toute simple qui n’adhère pas aux thèses nazies, dans le Berlin de l’entre-deux-guerres, ses pensées, ses activités, sa vision des autres, et surtout sa vision du passé, du présent et du futur de l’Allemagne.

Il est vraiment difficile de croire que ce texte a été rédigé en 1939, et non après la guerre. Certains historiens en doutaient eux aussi, et l’analyse du manuscrit original a confirmé l’année de rédaction.

« … Le pire se produisit. La musique donna le signal : Deutschland über alles, et tous levèrent le bras. Certains peut-être hésitèrent comme moi. C’était une terrible humiliation. Mais voulions-nous, oui ou non, passer notre examen ? Pour la première fois, je fus envahi par un sentiment aussi violent qu’un goût dans la bouche : « Cela ne compte pas. Ce n’est pas moi. Cela ne vaut pas. » Et, animé de ce sentiment, je levai le bras moi aussi et le maintins tendu en l’air à peu près trois minutes. »

Manu55 - João Pessoa - 51 ans - 26 avril 2005