L'étincelle : Révoltes dans les pays arabes
de Tahar Ben Jelloun

critiqué par Pucksimberg, le 13 janvier 2012
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
Le printemps arabe vu par un intellectuel arabe
Tahar Ben Jelloun porte un regard assez objectif sur ce printemps arabe et passe en revue les divers pays touchés par cette vague de révolte, tout en analysant cette étincelle qui a mis le feu aux poudres. La Tunisie, l'Egypte, l'Algérie, le Yémen, le Maroc et la Libye sont évoqués et l'on sent l'authenticité de l'auteur. A cette photographie des pays révoltés, s'ajoutent deux textes dans lesquels l'écrivain adopte temporairement ( heureusement ... ) le point de vue de Moubarak et celui de Ben Ali, nous nous retrouvons dans la tête des dictateurs et imaginons ce qu'ils peuvent ressentir face à ces mouvements populaires visant à les renverser.

Dans une autre section, Tahar Ben Jelloun s'interroge aussi sur le mot le plus adapté pour définir ces élans populaires : Révolte ? Révolution ? Lors d'une table ronde à Marseille orchestrée par Pierre Assouline et Franz-Olivier Giesbert ( 3 décembre 2011 ), Tahar Ben Jelloun était invité avec d'autres auteurs, le terme de "révolte" avait été privilégié par l'ensemble des écrivains, car la révolution est portée par un programme bien défini et peut-être aussi par l'émergence d'un leader, ce qui n'est pas aussi clair ici.

Tahar Ben Jelloun en profite aussi pour répondre aux diverses accusations provenant de l'Occident : les intellectuels arabes ne sont pas restés muets pendant ces révoltes, même ceux oeuvrant dans des pays où il est difficile de s'exprimer librement !
"Non seulement, ils réagissent, mais ils prennent des risques qu'aucun intellectuel occidental n'a jamais pris." ( moyennement d'accord ... )

Dans cet essai, Ben Jelloun évoque quelques victimes de ces pays occupés, cas évoqués à la fois comme dans un rapport journalistique et comme dans un récit romanesque : l'immolation de Mohamed Bouazizi en Tunisie, la torture de Sayed Bilal en Egypte, de multiples immolations en Algérie ... Il décrira aussi comment les réseaux sociaux ont eu un rôle majeur en tissant des liens entre les hommes et en diffusant rapidement les informations.

Tahar Ben Jelloun décrit des pays appauvris où l'illettrisme est flagrant et des dictateurs richissimes. Pire encore, il souligne la complaisance des Occidentaux, les vacances de certains présidents européens dans ces pays où règnent des dictateurs, la capacité de certains à faire des affaires avec ces hommes sanguinaires ... "La responsabilité des dirigeants européens est importante dans le maintien de ces régimes impopulaires et autoritaires.", " ... le parfait copinage avec des dictateurs dont ils savaient tout, y compris la manière dont ils torturaient et faisaient disparaître des opposants." Non, Ben Jelloun ne s'en prend pas qu'aux dirigeants occidentaux, il est plus nuancé. Il reconnaîtra aussi des qualités aux Français parfois et n'hésitera pas à critiquer les islamistes ! Les Frères musulmans seront aussi évoqués, mais je ne pense pas que l'écrivain ait mesuré précisément le rôle qu'ils ont désormais dans ces pays. J'ai le sentiment qu'ils ont été sous-estimés dans cet essai ...

Certains présages, déjà fortement suggérés dans "Le Village de l'allemand" de Boualem Sansal, concernent directement les pays européens, surtout la France : " La révolution ... est arrivée jusqu'en Chine et atteindra probablement un jour les banlieues pathogènes d'Europe.", "Quant aux pays européens, il faut qu'ils s'attendent à ce que leur jeunesse délaissée, non reconnue, abandonnée dans des banlieues, frappée à plus de 45% de chômage, trouve dans le vent de liberté arabe un appel à se soulever, et cette fois-ci avec assez de volonté pour aboutir."

Evidemment, libre à chacun d'adhérer à certaines prises de position de l'écrivain !

Un essai vivant, intéressant et éclairant sur ces révoltes ...