Agnès va mourir
de Renata Viganò

critiqué par Radetsky, le 19 novembre 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La femme sans qualités
Voici l'oeuvre admirable d'une femme, Renata Viganò, dédiée à une autre femme.
D'emblée, tout est dit : le titre ne laisse aucune illusion sur l'issue de cette terrible partie d'échecs avec la mort.
Agnès, paysanne, humble, opiniâtre, dure à la tâche, homme parfois à la place des hommes qui fuient leurs responsabilités, tout à la fois et successivement prise et déprise dans l'écheveau des contraintes propres à sa classe, de son éducation, de l'immémoriale répétition des corvées et des misères, "femme sans qualités" donc aux yeux du commun. Sans qualités parce qu'elle les a toutes en fait, qui se révéleront au travers des vicissitudes affrontées. Elle va grandir sous nos yeux, se métamorphoser en un personnage de la tragédie grecque antique, surgir hors d'elle-même et accomplir ce qui devait l'être, dans le pays ravagé par la guerre, les persécutions et les crimes fascistes ou nazis. L'Italie de la Résistance est tout entière comprise dans la carrure de cette femme. Renata Viganò, d'origine bourgeoise, a vécu au maquis et côtoyé ce monde des méprisés, jouets de l'histoire des puissants et a su avec sensibilité, acuité et un sens aigu de la narration, rendre le quotidien d'un peuple aux prises avec des responsabilités historiques désertées par les élites. De sa part quelle affection, quelle fraternité à l'égard d'une l'odyssée paysanne d'où le pathos est absent, où les faiblesses et les mérites, les modestes contraintes comme les plus grands dangers, sont toujours assumés à la mesure de ces pauvres gens. En même temps, le style de Viganò possède la rigueur et la puissance de l'inéluctable dans l'énoncé des péripéties du récit : on sent malgré les espoirs qui naissent, se rapprocher l'heure du sacrifice.
Agnès va mourir... mais on songe sans même qu'on y prenne garde, pour cette femme remarquable, à quelque "Victoire de Samothrace" égarée en terre latine, au tableau de Delacroix (la liberté guidant le peuple), à une Louise Michel de la terre....
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Je ne peux rien dire sur les qualités des traductions disponibles en français : il faut tenter l'expérience....et surtout ne pas se laisser abuser par la couverture racoleuse de l'édition mise en évidence ici : "L'Agnese" ne ressemble pas à une délicieuse actrice de série B ! Sa beauté ne doit rien aux artifices des publicitaires.