Les naufragés, avec les clochards de Paris
de Patrick Declerck

critiqué par Dada, le 6 août 2002
(Bruxelles - 48 ans)


La note:  étoiles
Vraiment Très Impressionnant !
Vraiment Très Impressionnant. de par le sujet, de par la manière de l’aborder, et de par les conclusions de l’auteur. Mais qui est Patrick Declerck ? Il se définit (cfr. Interview) comme apatride et de tendance anarchiste ; mais il est également philosophe, docteur en anthropologie et psychanalyste. Mélange étrange ? Peut-être un peu, mais le résultat est un cocktail explosif ! J’ai eu la chance de rencontrer ce Monsieur et j'en suis très heureuse car, comme on dit en Belgique : ça valait le détour ! Et le détour commence bien sûr par ce livre. Un livre dont le sujet est l'ensemble de ces hommes et femmes, les clochards, que nos regards croisent furtivement chaque jour, ici ou là, à qui l'on donne parfois une piécette quand ils sont accompagnés d’un petit chien sympa ou parce que c’est Noël, ces gens dont on parle quand il fait froid et que les oeuvres de charité aident…Un sujet dont on parle parfois – rarement - mais qui n’a sûrement pas été présenté de la manière dont le fait Patrick Declerck. Il raconte ses expériences en tant qu'anthropologue participant, pour mieux se rendre compte de leur réalité, de leur vie, de leur misère, de leur puanteur ; il raconte ses expériences en tant que psychanalyste accueillant dans des lieux d'asile ces individus souffrant tant physiquement que psychiquement. Le tout sur fond d'une lecture philosophique très intéressante. La lecture de ce travail est souvent dure, parfois répugnante, parfois ardue, mais tellement riche en émotions, en critiques et en réflexions. Un livre à lire pour tous ceux qui s’intéressent à l’Homme, à la société et à la manipulation de l’un par l'autre ; mais, surtout, un livre pour tous ceux que cela n'intéresse pas.!
Voyage au coeur du néant. 9 étoiles

Décapant: c'est bien le terme qui seul vient à l'esprit après une telle lecture.

"...pour ces hommes sans paroles, sans histoires et sans trace, ériger une sorte de monument. Un mémorial qui leur ressemble un peu. Tronque donc. Un rien de travers... Quelques pierres sans plus. Presque ruines. Cairns...

Voyage loin de nos bulles littéraires, dans un autre monde, dans le "rien", un monde qui nous effraie souvent tant, ce monde d'invisibles, monde de "grands voyageurs du vide... Funambules pitoyables. Mais glorieux, parce que sans retour."

La "misère absolue", l'exclusion jusqu'au bord du néant: naufrages pour ces hommes, naufrage de nos sociétés.

Ainsi que l’écrit Jean Malaurie: "laisser à ces anonymes de la rue... le très rare pouvoir de nous contraindre à nous interroger sur le cynisme d'une société républicaine prônant depuis deux siècles la justice sociale."

14 années ont passé depuis la parution de ce livre.
14 années durant lesquelles la misère a explosé.

Pour ne plus détourner nos regards du "bord du monde"

Provisette1 - - 11 ans - 22 février 2015


Un regard décapant 10 étoiles

C'est en effet un regard décapant que jette Patrick Declerck sur le monde des clochards. Décapant en ce sens qu'il enlève le vernis de confort intellectuel qui enrobe souvent la représentation qui est faite dans les médias de cet univers impitoyable. Declerck s'en prend particulièrement au couple infernal que forment, dans nos imaginaires, l'image du clochard forcément victime, idéalisée en tant que telle, et celle du travailleur social/bon Samaritain dont la tâche, toute imprégnée d'humanisme chrétien, ne saurait consister qu'à tenter de réinsérer ces exclus dans la société.
La première partie du livre -la plus longue- est essentiellement consacrée à une série de portraits, d'anecdotes vécues par l'auteur dans le monde des clochards.
Dans la deuxième partie, il s'efforce de théoriser son expérience dans deux chapitres: l'un consacré à la personnalité de ces "déviants" et l'autre davantage focalisé sur la description et la critique des mécanismes institutionnels mis en place pour leur venir en aide. Il lui paraissait en effet essentiel de "dépasser le niveau du simple témoignage par une tentative de conceptualisation anthropologique et psychanalytique de cette effroyable réalité humaine". J'estime, pour ma part, qu'il a parfaitement atteint l'objectif qu'il s'était assigné: au-delà des émotions poignantes que la lecture de cet ouvrage peut susciter chez le lecteur, celui-ci est en effet inéluctablement amené à s'interroger sur lui-même, sur ses rapports à l'autre, à la société, à la vie.
Lisez aussi attentivement la lettre à Jean Malaurie figurant en annexe à l'ouvrage: Patrick Declerck dévoile là une partie de son monde intérieur et nous explique le cheminement qui l'a conduit à se pencher sur l'univers des clochards. Son regard est certes pessimiste mais il s'agit bien d'un pessimisme lucide, actif qui n'exclut nullement l'action ni, osons dire le mot, l'amour.

Guermantes - Bruxelles - 76 ans - 18 avril 2007