Jeanne
de Jacqueline de Romilly

critiqué par Isis, le 15 novembre 2011
(Chaville - 79 ans)


La note:  étoiles
Mère Courage
Dans l’année qui suivit le décès, en 1977, de cette mère exemplaire, Jacqueline de Romilly écrivit ce livre hommage et en fit imprimer quelques volumes à compte d’auteur, pour ses proches.
Mais, par respect envers Jeanne, image même de la discrétion, elle chargea son éditeur de ne le publier qu’après sa propre disparition ; cette publication eut donc lieu cette année, J de R étant décédée en décembre 2010.
Cette particularité qui témoigne d’une touchante délicatesse, confère à l’ensemble une pudeur et une retenue exceptionnelles dans ce type d’ouvrage, toujours un peu narcissique par ricochet.
En effet, si le personnage principal de cette biographie posthume est bien cette «chère Jeanne», comme l’auteur l’appelle si souvent avec une immense tendresse, celui de Jacqueline, célèbre helléniste et académicienne distinguée, apparaît en filigrane du début à la fin, tant la réussite de sa fille fut pour cette mère, le vrai sens de sa vie.
«Elle m’avait voulu intéressée par mon travail, confesse J de R, je m’y suis abandonnée avec un zèle frénétique. Et le soin même qu’elle avait pris contribua à me distraire d’elle»…
La première partie du livre qui couvre la période comprise entre 1913 -l’année de naissance de Jacqueline- et 1940, celle de son mariage, retrace le parcours difficile et talentueux de cette jeune veuve de guerre qui va tout recentrer sur cette petite fille autour de laquelle elle construira ce que Jacqueline appelle si joliment un «véritable rempart de tendresse»
Pour ce faire, elle devra, bien sûr, trouver un emploi à une époque où le travail féminin n’était pas si courant et, sur ce terrain, elle ne sera pas la dernière, tant sa carrière –essentiellement vouée à la littérature et à l’écriture sous toutes ses formes (romans, pièces de théâtre, livres pour enfants, traductions, adaptations radiophoniques etc...)- fut riche en expériences.
Cet éclectisme, sans doute le reflet de l'intuition innée et du dynamisme impressionnant dont était dotée cette femme adorable et adorée de tous, est certes bien loin de l’hyper spécialisation acquise par J de R sur la Grèce en général et l’historien Thucydide, en particulier, sur lequel elle travaillera pendant un demi-siècle !
Jeanne est d’ailleurs en grande partie responsable de cette passion dévorante puisqu’un jour, elle lui offrit la collection complète en sept volumes de cet auteur, pour, déclara-t-elle alors, «lire un peu de grec pendant les vacances»… Pari très largement tenu, on en conviendra !!
Si cette polyvalence, voire parfois dispersion, ne permit pas toujours à Jeanne d’atteindre le succès escompté dans le milieu artistique, au moins assura-t-elle au couple fusionnel qu’elle constitua avec sa fille, une vie digne et confortable.
Dans la seconde partie de cette biographie, Jeanne apparaît beaucoup plus effacée et si elle ne perdra jamais son allant et sa gaîté première, elle vivra davantage dans l’ombre de sa fille, mais toujours à proximité ; au moment de l’Occupation, un épisode superbement bien décrit, il lui fallut faire taire ambitions professionnelles, liens sentimentaux et tout lâcher, sans la moindre hésitation pour permettre à Jacqueline de finir ses brillantes études ; celle-ci, prendra conscience plus tard de ces sacrifices maternels toujours librement consentis et saura, le moment venu -juste retour des choses- prendre à son tour soin d’elle et la protéger jusqu’au bout.
Un témoignage profondément touchant et digne d’amour maternel et filial indéfectibles qui, malgré la gravité de certaines situations rapportées, déborde d’optimisme et de bonheur partagé. Il présente également un intérêt majeur sur le plan historique en nous offrant un panorama de la vie quotidienne des Français au 20ème siècle. Un merveilleux moment de lecture que l’on n’oubliera pas de sitôt.
Tombeau pour une mère défunte 10 étoiles

Jeanne, seulement son prénom .
Nul besoin, pour l’auteure, de la désigner par le nom de Maman ; la tendresse qui les unit sous-tend chacune de ses phrases . En la désignant ainsi, Jacqueline de Romilly se dégage un peu de la relation quasi fusionnelle qu’elle entretenait avec elle, prenant alors le recul nécessaire à l’écrivain pour faire de sa mère un personnage de roman, une femme dans son siècle, qui sut s’accomplir par ses activités d’écriture et exister non seulement au travers de sa fille mais grâce à ses propres talents littéraires .

« J’étais l’oeuvre de Jeanne, celle de ses œuvres qu’elle avait le plus soignée et le plus passionnément voulu réussir ». C’est au tour maintenant de Jeanne de devenir sujet privilégié de l’ oeuvre de celle à qui elle a tout donné . Celle qui était « hostile à l’étalage des sentiments » reçoit ici un hommage tout en émotion contenue, qui dégage le charme suranné des albums de photos sépia où sourient des femmes élégantes en chapeau , une sorte de conte dont la bonne fée serait Jeanne, « Jeanne au bracelet d’argent » .

Alma - - - ans - 17 décembre 2011