Les combattants du petit bonheur
de Alphonse Boudard

critiqué par Herculine Zabulon, le 6 novembre 2011
( - - ans)


La note:  étoiles
Dentelle d'argot
Lorsque Boudard évoque le XIIIème de son enfance, c’est du haut de ce que le XIIIème était devenu, lorsqu’il écrivit Les Combattants du petit bonheur, en 1977 ; la permanence du R.N.P.de Marcel Déat, avenue d’Italie, remplacée par un cinéma porno. Pas de quoi nourrir de regrets. La nostalgie n’est d’ailleurs pas le fort de Boudard, pas plus que l’exaltation du « nouveau Paris », on s’en doute. 35 ans après la parution de ce livre, on mesure encore un peu mieux toute la distance avec ce XIIIème d’alors, populacier, rebelle, bastion du député P.C. André Marty. Les descriptions du quartier, précises, sensuelles et d’atmosphère n’égalent cependant pas en intérêt les croquis de tronches, silhouettes et rictus des habitants surpris dans le brouillard et sous le porche. Les vilenies et les rares instants de grâce, l’euphorie collective, loufoque et immonde qui préside aux petites heures de la libération de Paris. Boudard en fut, et du maquis. Et c’est d’abord de ce long adolescent acnéeux dont il est question dans ce livre amer et tendre ; de ses fièvres, de ses précoces désillusions. Qu’il s’agisse de ces moments paroxystiques où soudain l’Histoire s’accélère, ou des instants privés où le jeune homme découvre l’amour sous toutes ses coutures et couleurs, Boudard retient sa plume, fait l’argot discret, elliptique. C’est toute l’originalité et la grandeur de Boudard, de ne quasi jamais céder à la graisseuse gaudriole là où le terrain s’y prête tant, mais au contraire de ne nous montrer le théâtre du monde qu’à travers la très fine dentelle d’un argot dégrossi et débarrassé des trop convenues et faciles glissades cacatières.

« Bec d’Aigle…dont je ne sais plus le vrai blase…à la la Libération il s’est fait coincer, alpaguer par une foule furieuse…en uniforme de la Milice. Châtié séance tenante, sans tribunal, sans appel…roué de coups, lynché…jeté pantelant, déjà quasi mort sous les chenilles d’un char Sherman, le 25 août 1944. Il ne lui reste donc même plus trois ans à vivre, ce soir-là ! Il a raison, il croit, il est beau comme un blockhaus !...sûr de ce qu’il dit…sincère con et déjà vaincu dans les astres ! Il aura pas le temps de faire ouf, de leur expliquer aux vengeurs du 25 août qu’il est socialiste, révolté anti-bourgeois…les chenilles judéo-anglo-saxonnes le réduiront encore plus bouillie qu’il aurait pu me réduire avec ses copains si j’avais pété de traviole. Difficile maintenant de l’accabler, son sang s’est confondu avec celui des autres, ses ennemis et puis ceux d’avant…de la Commune !...le sang des pauvres et des imbéciles qui se trouvaient là au mauvais moment ! Il est devenu un peu de Paris qui se fabrique de n’importe quoi au jour le jour, de chair et d’os et de pierres et de merdes de chien. Les voitures passent, repassent sur cette avenue. Bec d’Aigle, dont je ne cherche même pas à savoir le nom, il est ici même sur la chaussée, à peu près en face du cordonnier Charlot avec son enseigne, je vous ai dit…tous les vocables argotiques pour désigner les chaussures. Cette manie de noircir du papier qui me fait vivre, je m’aperçois, avec les morts autant qu’avec les vivants, comme dans une prière ». (Alphonse Boudard, Les Combattants du bonheur).

Herculine Zabulon