Au temps du Boeuf sur le toit
de Maurice Sachs

critiqué par AmauryWatremez, le 5 novembre 2011
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Maurice Sachs en faune « années folles »
Ce livre permet de comparer un monde se prétendant libre et progressiste, le nôtre, et la France de 1919 et des années folles, des nuques rasées des hommes et des femmes qui commencent à montrer leurs jambes et danser en se passant de la permission de minuit d'un quelconque chaperon ou de leur époux. Cette liberté, le pays croira la payer par la défaite de 1939 car finalement les grandes personnes restent des enfants terribles, mais quelques uns des personnages futiles de ces années là deviendront alors des combattants contre les totalitarismes sans se poser de questions, se retrouvant côte à côte avec les adversaires d'hier, l'auteur de cet ouvrage optant pour une attitude beaucoup plus ambiguë, car il collabore et fait du marché noir à grande échelle, même s'il meurt d'une balle dans la nuque tirée par un SS (ci-contre la cellule où il est mis "au secret" en 1945), qui fascinera et fascine toujours Patrick Modiano pour qui il est une figure paternelle idéale. Au passage, le cas de Maurice Sachs, d'origine juive, converti au protestantisme en 37, attiré un temps par le communisme, montre toute la complexité des êtres humains pendant l'Occupation et que ni l'héroïsme, ni la saloperie ne sont solubles dans de grandes et creuses formules. Il n'est pas plus amoral que d'autres somme toute.
Le journal de Maurice Sachs, de son vrai nom Maurice Ettinghausen, « Au temps du Bœuf sur le toit », ressemble par sa texture et son contenu à un dessin de Cocteau. On a l'impression trompeuse que c'est futile et facile, alors que ça demande beaucoup d'art, de travail et un coup d'œil unique. Il commence à le rédiger en 1919, après la Grande Guerre, la première boucherie moderne, à une époque où l'on ressent un immense besoin de défoulement, de se laisser un peu aller à un peu plus de liberté, à savoir donc tout le contraire de notre temps qui réclame toujours plus de cadres et toujours moins de libertés, par peur de mûrir ou d'être adulte, ou de se confronter simplement au réel. L'auteur a de la chance, il peut se permettre de ne songer qu'à lui et à l'épanouissement de son plaisir ou de ses dons, cela se rejoint parfois, car il est d'une famille de bonne tenue. Orphelin de père, il aime beaucoup sa mère qui le lui rend bien. Il multiplie les conquêtes amoureuses et rencontre les artistes importants de l'après-guerre, Cocteau bien sûr mais aussi le «Groupe des Six », Erik Satie, faussement timide, dont les yeux pétillent d'ironie et d'intelligence, Blaise Cendrars qui prétend qu'il a perdu un bras à la guerre et en a retrouvé un depuis qu'il est rentré à Paris et qu'il fréquente les filles de petite vertu selon le terme traditionnel, les esprit mal tournés comprendront de quel « bras » il parle.
Sachs est essentiellement un dilettante, un dilettante de talent, mais un dilettante ce qui aux yeux des braves gens laborieux et serviles, dociles et soumis aux bêtises du temps, est un crime, une sorte de faune post-moderne qui est tout à fait lucide sur ses contemporains. Il n'a aucune illusion entre autres sur Picasso ou les pseudo-audaces de ceux qui miment le mouvement surréaliste embryonnaire qu'il connait bien, fréquentant Aragon et Breton. Il découvre aussi le cinéma, et fait part de son admiration pour Chaplin et Griffith, faisant montre finalement d'un goût très sûr car déjà les films prétentieux ou nuls, ou sans intérêt, pullulent. Il va au théâtre voir Réjane, vedette de l'époque, ainsi que Lucien Guitry dont il apprécie la personnalité « hénaurme ». Et bien sûr, il collectionne les conquêtes, avouant préférer presque les « filles » des boulevards aux petites ou grandes bourgeoises avec lesquelles il fleurte des mois bovarisant plus ou moins avant d'obtenir ce qu'il désire depuis le début, la chose faite, la dame ne l'intéresse plus que médiocrement excepté une certaine Louise dont il tombe amoureux. Dans ces moments, son journal se confond avec celui de Lafcadio, dont il fréquente, amicalement, le créateur, André Gide, qui le recommandera à la NRF quand Sachs sera obligé de travailler pour gagner de l'argent après la Crise de 29 qui le ruine, il arrête alors son journal. Il rencontre la gloire littéraire de manière posthume avec la publication en 1946 de Le Sabbat, puis de Chronique joyeuse et scandaleuse, en 1948, et de La Chasse à courre, en 1949.