Totenauberg de Elfriede Jelinek

Totenauberg de Elfriede Jelinek
(Totenauberg)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Radetsky, le 28 octobre 2011 (Inscrit le 13 août 2009, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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Une montagne de morts-vivants

Comme toujours avec Elfriede Jelinek il faut respirer un grand coup avant de commencer la lecture, s'armer de patience et peaufiner en soi le regard aigu de l'entomologiste.
Imaginons un tableau de Dali ou Chirico, mais dans une palette de couleurs empruntée à René Magritte.
Le titre vaut à lui seul le coup de cymbales d'ouverture des hostilités, si on se souvient que "tot" en allemand signifie mort, défunt, donc "toten" (pluriel) accolé à Berg (la montagne) vaut comme allégorie, à la fois d'un lieu possible où se consommerait l'existence humaine, et d'une entité mythique et réelle omniprésente dans la culture allemande (dans un tout autre registre, pensons à Nietzsche, Thomas Mann, etc.). Totenauberg, joli petit village autrichien où résida le philosophe Heidegger, adhérent du parti nazi...

Une fresque donc , un Kaléidoscope où vont défiler, s'agiter, monologuer, une série de personnages grotesques, pitoyables ou sinistres - parfois réunissant ces caractères - avec en toile de fond une montagne allégoriquement disposée. Cette montagne, presque absente tant elle imprègne indirectement les marionnettes humaines de cette tragi-comédie : les costumes, les attitudes et tics de comportement, les sports alpins, si conformes aux penchants germaniques à l'égard de "die Natur" (quand bien même la plus extrême dévotion tout aussi germanique à la modernité et à ses artifices, détruit-elle en même temps la dite Nature), trahissent un mode particulier d'être au monde tout en étant étranger aux autres. L'allusion indirecte s'amorce avec la "petite moustache" de Martin Heidegger, rejoint par l'ectoplasmique Hannah Arendt et va bon train. La langue hachée, essoufflée de Jelinek imite comme à l'ordinaire le débit saccadé d'une pensée élémentaire de pauvres gens stupides et cruels, rythmée comme peut l'être une conversation de "Bier Stube" entre ploucs pleins de bière et de rancoeur. Il va sans dire que la narratrice oppose à chacun de ces hoquets désordonnés sa propre déconstruction d'un monde faux et centré autour des mythes commodes du "comme il faut", y compris chez les progressistes supposés que sont les séides de l'écologie.
La familiarité avec la langue allemande (ou, pour être plus précis, avec sa variante autrichienne agro-pastorale), ses manières d'interjeter telle ou telle image, de proférer ses exemples à coups de fausses évidences et de gros bon sens dans des relents de schnaps et de xénophobie, serait un plus, tant il faut entendre Elfriede Jelinek débiter son récit : ce bouquin (tout comme ses derniers romans) devrait être lu à haute voix, devant un auditoire disposé à en mimer les outrances et les sonorités, par une sorte de brasse coulée dans l'océan schizophrène allemand, où la culpabilité du massacre des "étrangers" se dissimule comme elle peut sous ses oripeaux de la tradition et du folklore.

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