Sociologie de la prison
de Philippe Combessie

critiqué par Bolcho, le 19 octobre 2011
(Bruxelles - 75 ans)


La note:  étoiles
Prison sous la loupe du sociologue
« Lorsque l’industrialisation a commencé à dépeupler les campagnes où le contrôle social était fort, pour peupler les villes anonymes de masses « laborieuses », il a fallu un instrument d’encadrement de ces populations qui apparaissent comme « dangereuses » aux dirigeants.


C’est un petit bouquin passionnant pour qui s’intéresse à la question des prisons. Je le conseillerais volontiers à tous ceux qui n’ont pas le courage de s’attaquer à la brique pourtant incontournable de Michel Foucault (« Surveiller et punir »).

On y trouve notamment de nombreux chiffres qui concernent la situation en France (mais, selon les recherches que j’ai faites sur la situation en Belgique, la réalité y est, en gros, la même).

On a assisté, en France donc, à un quasi-doublement de la durée de détention en 25 ans (depuis 1983).


En 1995, la proportion de femmes mises en cause par la police était de 14%. Il n’en restait que 10% parmi les condamné(e)s et 4% parmi les personnes incarcérées. Il y a une différence sociale de tolérance envers les pratiques déviantes des hommes et des femmes.

Trois groupes de femmes incarcérées : stupéfiants, crimes de sang (surtout intrafamiliaux) et activités plus souvent masculines (proxénétisme, terrorisme...).

Les prisons sont surtout peuplées d’hommes jeunes, voire très jeunes.

Vont en prison les classes sociales les plus défavorisées : on a quatre fois plus de risques d’aller en prison si on vient d’un milieu « ouvrier » que d’un milieu « profession intermédiaire », et 14 fois plus de risques par rapport aux « cadres ». A noter que les milieux risquant le plus la prison sont aussi ceux où l’on vit moins longtemps. Pas de chance, hein...

Et puis, comme par hasard, ce sont surtout des étrangers qu’on met en prison.

En ce qui concerne le niveau scolaire, 75% des détenus ont un niveau inférieur ou égal au CAP. La prison abrite les personnes en échec scolaire. C’est gentil.

57.7% sont en dessous du seuil de pauvreté (revenu inférieur à la moitié du revenu moyen). La prison vient donc en aide aux pauvres. Sympa..

43% des hommes détenus de 20 et 40 ans sont en couple, contre 66% dans la population générale au même âge. La prison est le refuge des solitaires. Merci pour eux.

On trouve en prison de plus en plus de troubles psychiatriques ; c’est pour laisser de la place, dans les hôpitaux, aux bourgeois confrontés aux déceptions boursières ?

Dans un état qui met en avant son attachement aux libertés individuelles, on prétend que l’enfermement doit donner de meilleures chances de réinsertion ; mais « ce résultat n’est qu’exceptionnellement atteint », comme le dit pudiquement l’auteur, et :
« (…) bien que la plupart des praticiens du monde carcéral fassent ce constat depuis que la prison pour peine existe, on n’en tire le plus souvent que des conséquences limitées, quelques réformes visant à faciliter la réadaptation, mais au terme desquelles celle-ci reste néanmoins l’exception ».

En plus, des données passionnantes sur les politiques carcérales menées (la « défense sociale », le « juste dû », la « détention positive », l’ « implication des détenus »), les différentes politiques pénales (moins de courtes peines et augmentation de la durée des enfermements), la place accordée aux abolitionnistes (ils prônent la suppression des peines de prison), le milieu carcéral, les surveillants par exemple et leur culture (la plupart d’entre-eux ont une vision très mesurée de la population des prisons, mais on entend surtout la minorité qui diabolise les détenus), l’image de la prison dans la société (là aussi, les études montrent que 64% des enquêtés estiment que certains délits ne justifient pas l’incarcération, mais c’est la minorité excitée qu’on entend dans les médias), les statistiques concernant la récidive (avec cette curiosité : les détenus particulièrement « sages » en prison se réinsèrent moins bien que ceux qui y ont eu des rapports disciplinaires).

En conclusion, cette idée qu’il faut limiter l’usage de la prison, et aussi :  « (...) limiter la pénibilité de la prison. Tout ce qui abaisse la dignité d’un homme rejaillit sur les individus qui y coopèrent, sur l’institution qui le tolère, et sur la société qui l’accepte et qui, pour ce faire, l’occulte ».