Journaux de guerre : Tome 2, 1939-1948 de Ernst Jünger

Journaux de guerre : Tome 2, 1939-1948 de Ernst Jünger

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Vince92, le 17 avril 2015 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans)
La note : 10 étoiles
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Tranche de vie singulière

Si le grand public connaît Ernst Jünger pour son livre le plus diffusé, Orages d’acier, dans lequel il raconte son expérience des combats de la Première Guerre Mondiale, ce même public est souvent ignorant du reste des œuvres de l’écrivain allemand, et notamment de son travail de diariste.
Ernst Jünger a en effet toujours tenu son journal ; durant cette période singulière de la Première Guerre Mondiale, mais également dans les périodes de paix et durant la Seconde Guerre Mondiale, au cours de laquelle il a été mobilisé en tant que capitaine. La période qui s’étend de 1939 à 1948 est l’objet de ce recueil de la collection de la Pléiade qui regroupe l’ensemble des six volumes formant les journaux de cette période.
Il s’agit d’abord de Routes et jardin qui couvre l’année 1939 et une partie de l’année 1940 au cours de laquelle E.Jünger est affecté à une unité engagée dans la Campagne de France mais qui n’a pas l’occasion de combattre. Le Premier et le Second Journal Parisien relatent l’affectation de Jünger au sein de l’Etat-Major allemand à Paris, Notes du Caucase est beaucoup plus concis, puisqu’il couvre une courte période au cours de laquelle l’auteur doit remplir une mission en U.R.S.S (mission dont on ne saura rien d’ailleurs). Enfin, les feuillet de Kirchhorst et la Cabane dans la vigne voient un Jünger attendre puis subir la défaite et l’occupation alliée.
Plonger dans les journaux de Jünger, c’est effectuer un voyage dans le temps et dans la pensée d’un des esprits les plus éclairés et les plus éclectiques de son temps …tout à la fois philosophe, romancier, poète, entomologiste, soldat, l’auteur des falaises de marbres et du travailleur est sans aucun doute un esprit libre, ultra nationaliste mais farouchement anti-nazi, ses journaux de la Seconde Guerre mondiale sont des documents des plus intéressants. Ils permettent notamment de comprendre un état d’esprit, celui des élites intellectuelles face à une époque dangereuse, pleine de contradictions et beaucoup plus difficile à cerner que la vision souvent manichéenne que la réécriture de l’histoire par les vainqueurs cherche le plus souvent à nous faire intégrer.
C’est ainsi que Jünger dans ses deux journaux parisiens se montre un parfais gentilhomme, francophile éclairé, passant le plus clair de son temps à parcourir les quais de Seine à la recherche d’éditions originales rares ou à fréquenter le gratin de l’intelligentsia de l’époque (Cocteau, Guitry, Paulhan, Picasso, Braque, Céline,…). Très grand lecteur, il livre ses impressions, partage ses réflexions. Cette époque est charnière pour l’écrivain… il redécouvre à cette époque la Bible qu'il lit deux fois. C’est aussi l’occasion pour lui de relater son expérience de la guerre… la constatation que la technique a renforcé son emprise sur l’homme, les chars, les bombardiers l’impressionnent beaucoup. Il livre dans le dernier volet, la cabane dans la vigne de longues pages très intéressantes sur son activité intellectuelle de l’entre-deux-guerres, des réflexions sur ses fréquentations et notamment sur Goebbels dont il fut proche mais que des positions irréconciliables vont peu à peu éloigner.
Il semble que la réception de ces journaux de guerre ait été diversement appréciée par la critique notamment du fait d’un apparent détachement de l’auteur face aux souffrances de ses contemporains (la célèbre scène dans laquelle il déguste un verre de bordeaux avec des fraises ( !) sur le toit de l’hôtel Raphaël tout en contemplant les escadrilles partant bombarder un objectif proche a fait couler beaucoup d’encre) ..et pourtant, à de nombreuses reprises cet homme, guerrier dans l’âme, laisse transparaître sa pitié et sa désolation face à des événements qu’il avait prédits, ces équarrissoirs (Les falaises de Marbres) et le règne des Lémures (comprendre les inféodés aux totalitarismes). Désolation face au malheur des civils, victimes de la guerre (routes et jardins), malheur du Juif innocent persécuté par la police allemande (Premier journal parisien), malheur de ses amis emprisonnés pour des positions non conformes (Niekish, Stülpnagel, …), malheur des populations allemandes victimes à leur tour des excès que la guerre ne manque jamais d’apporter à travers les bombardements, viols massifs, vols des biens, saccage des propriétés…
La lecture est parfois rendue très dense, tant la profondeur de la réflexion est importante ; heureusement , le texte philosophique est entrecoupé de purs moments littéraires et de considérations terre-à-terre qui sont autant de pauses dans le travail de la pensée.
Sans doute pas très connus, les textes présentés (excellemment par Julien Hervier, le grand spécialiste français de Jünger) dans la prestigieuse collection de la Pleiade trouvent désormais une juste place dans le corpus jüngerien, et on ne pourra que conseiller aux amateurs de ce grand auteur européen de se plonger dans cette partie de l’œuvre du sage de Wilflingen.

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Les éditions

  • Journaux de guerre [Texte imprimé] Ernst Jünger édition établie par Julien Hervier avec la collaboration de Pascal Mercier et François Poncet [traductions par Maurice Betz, Henri Plard et Frédéric de Towarnicki, revues par Julien Hervier]
    de Jünger, Ernst Hervier, Julien (Editeur scientifique)
    Gallimard / Bibliothèque de la Pléiade
    ISBN : 9782070116300 ; 63,00 € ; 21/02/2008 ; 1373 p. ; Relié
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