Quand l'heure viendra
de Josef Winkler

critiqué par Radetsky, le 10 octobre 2011
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Litanie des ténèbres
On songe immédiatement à Thomas Bernhard, à Elfriede Jelinek, pour ne citer que des écrivains récents, à la lecture de cette saga écrite au pays des edelweiss, des jolies montagnes et des "jodles" tonitruants. C'est une sorte de chorégraphie épousant les heurs et malheurs (essentiellement) d'une famille, d'un village de l'Autriche paisible et campagnarde, écrite dans un style évoquant les litanies récitées lors de cérémonies religieuses catholiques, telles que les funérailles ou l'office du Vendredi Saint. La scansion, obsédante, du récit des évènements, est entrecoupée par les citations de prières ou fragments de prières, intervenant à la manière de nota bene répétitifs afin de faire mesurer la distance qu'il y a entre les promesses contenues dans ces prières et le calice amer de la vie, promis dans la réalité aux lèvres destinées à s'y tremper. Toute la pesanteur des communautés paysannes, débarrassées des joyeux oripeaux du folklore (dont l'épisodique rappel ne sert qu'à en accentuer l'irréalité), est là afin de donner à l'ensemble du récit la couleur de l'inéluctable. La campagne autrichienne de la première moitié du XXe siècle : une prison bouclée à double tour dans les rites d'une religion qui se rapporte plus aux antiques pratiques de tribus enfermées dans leurs mythes, qu'à la lumière des Béatitudes. Et aucun malheur, aucune disgrâce, aucun évènement exogène, ne viennent ébranler le moins du monde la carapace d'habitudes, de pesanteurs, qui enferment les vies. A part la mention indirecte des propos tenus par les protagonistes de la part du narrateur, rien ne vient donner l'impression qu'un cri a été émis, qu'une protestation est sortie des poitrines oppressées et par le sort, et par la pression sociale. On vit, on souffre, on meurt, dans une sorte de silence cosmique.
Le monde extérieur éclaire indirectement ce théâtre étouffant, tout en donnant l'impression que c'est lui qui sortira perdant du combat entre l'obscurité et la lumière qui se livre là ; les références passagères aux guerres, au nazisme, n'interviennent qu'à titre d'allégories fugitives finalement conformes à l'univers mental fossilisé de ces paysans. Ô, bien sûr, il n'y a pas que de l'inhumanité, mais ce qui reste d'humain se dilue dans un sentiment d'impuissance et de révolte étouffée.
Le voile du Temple se déchire, la terre tremble...mais rien ne change.