Chronique de la vie qui passe
de Fernando Pessoa

critiqué par Dubois, le 27 septembre 2011
( - 45 ans)


La note:  étoiles
Pour s'éclairer (ou pas) sur les opinions de Pessoa.
Ce livre contient avec Le banquier anarchiste, le second volume de cette édition de poche, l’ensemble des textes en prose publiés du vivant de Pessoa. Et comme l’écrit à juste titre l’éditeur dans un avertissement, ces deux volumes sont « indivisibles ». Mais dans ce cas là, pourquoi les avoir divisés ? En vérité, cette édition m’a paru un peu bâclée ; ne datant que de la fin du deuxième millénaire et déjà dépassée. Par exemple, le titre du Livre de l’intranquillité est traduit par Livre de l’inquiétude, ce qui au-delà de son caractère moins évocateur, pourrait être tout à fait légitime, mais surtout, rappelle malencontreusement que les quelques textes, traduits ici, de ce magnifique livre ne sont pas tirés de l’édition française de référence. De plus, presque la moitié de ce premier volume est occupée par une préface et une chronologie, diversement appréciables. Une chronologie plus succincte n’aurait rien ôté à la compréhension. Soixante pages dont l’intérêt est limité, c’est trop ! Deux ou trois pages auraient amplement suffi et cela aurait certainement permit de réunir les deux volumes en un seul, quitte à supprimer aussi une préface certes éclairante sur les opinions si obscures de Pessoa, mais passant sous silence ce qui au fond fait son originalité.
Donc, dans ce premier volume artificiellement scindé, on retrouve quelques critiques littéraires de Pessoa ; critiques de livres que la plupart des lecteurs ne connaîtront probablement pas. Mais peu importe, car c’est surtout l’écriture de Pessoa qui est réjouissante. Ses critiques sont souvent acerbes, il sait trouver les phrases cinglantes qui provoquent le rire ou le sourire, corollaire de ce qu’il appelle « le mépris » ou « l’intérêt futile ». La chronique de la vie qui passe, en elle-même, est une série d’articles politiques tenus dans un journal par Pessoa. Et c’est bien la politique qui après la littérature est le second grand thème des textes réunis dans cet ouvrage. D’ailleurs les deux se mêlent parfois. Et là, on commence à entrevoir tout ce que Pessoa a de passionnant. Car si on ne fait que lire ses opinions sur la vie politique, d’un article à l’autre, on reste quelque peu dubitatif. La rigueur est bien là, apparente, tout semble logique, il y a un fil conducteur indéniable et pourtant cette logique ne résout pas les contradictions. Simplement, que dire des opinions politiques de Pessoa ? À part son fervent patriotisme (qui serait par ailleurs discutable, car essentiellement attaché à la langue maternelle, alors que Pessoa s’en est si souvent détaché au profit de l’Anglais et même du Français), on ne peut rien dire avec certitude. Il y a une constante évolution, et même un certain vague, chez cet homme qui a presque érigé la contradiction en devoir. Pourtant, j’insiste, sa rigueur logique est implacable. Anticommuniste, antimonarchiste, anticatholique, antirépublicain, antidémocrate, anti-anarchiste, antilibéral, il est tout ça et avec la plus sincère passion. On pourrait essayer d’affirmer qu’il est une sorte de républicain conservateur, d’une république qui reste encore à inventer - et ce serait certainement la vision la plus juste - mais on se rend compte tout de suite du caractère contradictoire de cette affirmation. Il reste que Pessoa semblait, dès ses premières années d’activité littéraire, très intéressé par l’analyse sociologique. Mais là encore, ce grand constructeur de « -ismes » , passe son temps à les détruire insidieusement.