Médée
de Pierre Corneille

critiqué par Pucksimberg, le 21 septembre 2011
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
La première tragédie de Corneille
"Médée" est la première tragédie que Corneille rédige. Elle a été assez vite oubliée, les lecteurs lui ayant préféré les pièces d'inspiration romaine ou "Le Cid". C'est avec un grand plaisir que j'ai redécouvert cette pièce.

Médée est cette magicienne, quelque peu monstrueuse par ses actes. En effet, follement amoureuse de Jason, elle l'aide à s'emparer de la Toison d'or, possédée par le propre père de Médée. Jason n'est pas amoureux de cette femme, il est surtout intéressé par ses pouvoirs et par le soutien qu'elle lui apporte pour conquérir la fameuse toison. Pour empêcher Eétés, père de la magicienne, de poursuivre le héros grec, elle tue son frère, le découpe en morceaux et sème ces derniers. Plutôt que d'arrêter Jason, le roi et ses hommes cherchent les membres du défunt fils pour les funérailles. Mission réussie : Jason et Médée peuvent fuir. Ils auront deux enfants, se réfugient auprès de Créon, choix dangereux ! Les complications s'accumulent et c'est surtout ici que débute la pièce de Corneille.

Créuse, fille de Créon, plaît énormément à Jason, l'ingrat qui entreprend d'abandonner Médée malgré les gros sacrifices qu'elle a faits. La magicienne est déboussolée, blessée, incomprise, touchante malré ses sombres actions. Comment la magicienne Médée peut-elle accepter un tel affront, elle qui ne peut plus se réfugier dans certaines villes grecques à cause de ses méfaits ? Que peut la fragile Créuse face à la diabolique Médée ? Le héros Jason est-il si admirable par ses choix ? Que peut la magie face à la souffrance amoureuse ?

Les passions sont déchaînées, la violence est poussée à son paroxysme. Il est fort rare d'assister comme ici à des meurtres sur scène au 17ème siècle, la loi de bienséance l'interdisant. La vengeance de Médée sera brutale et ses paroles de femme blessée oscilleront entre profonde humanité et monstruosité, à la manière de la Phèdre de Racine
« Son crime, s’il en a, c’est de t’avoir pris pour femme » 8 étoiles

Lire cette tragédie a été un plaisir ! C’est bien dommage d’ailleurs que parmi les pièces de Corneille elle ne soit pas plus connue. La narration est très équilibrée, l’écriture y est extrêmement fluide, les vers sont sublimes (« Il est mon crime seul, si je suis criminelle », « Aimer cet inconstant, c’est tout ce que j’ai fait », « oui, tu vois en moi seule et le fer et la flamme / Et la terre et la mer, et l’enfer et les cieux »), les personnages très bien mis en valeur. Sans doute que l’exploitation du mythe d’origine, qui était puissant, y est pour quelque chose, mais encore ne fallait-il pas se louper (on a vu bien des scénaristes modernes gâcher un beau sujet en voulant l’adapter ou le réécrire !).

Là, franchement, je trouve que le dramaturge normand a assuré. La tension est bien rendue, notamment quand Jason et Médée se renvoient à leur responsabilité respective : à qui est due la Faute ? A Médée qui a agi dans l’intérêt de Jason, ou à Jason qui a « manipulé » cette femme ? Corneille brosse d’ailleurs un portrait très réussi de Médée, femme blessée et diabolique. Ceux qui aiment les pièces qui finissent mal ne seront pas déçus, puisque pour le coup les corps (et les âmes) souffrent et le sang coule à flot. On pourra dire bien sûr que Corneille en fait un peu trop, mais cela ne m’a pas choqué, d’autant plus qu’il prend le soin a contrario d’être d’une grande sobriété, d’une grande pudeur, concernant l’assassinat des enfants de Médée.

On retrouve également un Jason assez proche finalement de celui décrit par exemple dans les Argonautiques d’Appolonios de Rhode, à la fois héros auréolé de sa quête prestigieuse mais homme un peu versatile et dont la gloire est sujet à discussion, car elle est due aussi bien à lui-même qu’à ses compagnons et surtout qu’à la Princesse de Colchide, que pourtant il abandonne et répudie.

Fanou03 - * - 48 ans - 3 juin 2021