Une jeunesse
de Patrick Modiano

critiqué par Jlc, le 20 septembre 2011
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Le bel âge?
Patrick Modiano aurait pu mettre en exergue de ce roman la phrase de Henri Michaux : « La jeunesse c’est quand on ne sait pas ce qui va arriver. » C’est ainsi qu’Odile et Louis ont vécu leurs 20 ans. Bien que l’histoire commence par ce qu’ils sont devenus, le sujet principal de ce livre est la vacuité de destin de ces deux êtres à l’identité floue, à la malléabilité trouble, à la morale incertaine, le tout dans un décor souvent glauque où s’agitent des comparses louches.

Années cinquante : Louis vient de finir son service militaire. Sans vraie famille, sans amis, il est disponible. Un curieux personnage, Brossier, va vouloir s’occuper de lui sans qu’on sache vraiment pourquoi. Ce sont ces hasards et ces mystères qui font le charme des romans de Modiano. Odile aussi est seule, vivant dans une chambre de bonne, rêvant de devenir chanteuse, elle aussi disponible. Elle rencontre un découvreur de talents qui veut la « lancer » en lui faisant enregistrer une maquette souple qu’elle pourra présenter à des propriétaires de cabaret. Mais ce Pygmalion énigmatique se suicide. Louis remarque Odile au petit buffet de la gare Saint Lazare avant de la suivre dans la salle des pas perdus et de la raccompagner chez elle. Ils vivent ensemble, souvent d’expédients, sous la conduite de Brossier qui les présente à un de ses amis, Bejardy. Alors qu’Odile décroche un contrat vite précaire, Louis accomplit des missions très mystérieuses dont l’une consiste à transférer de l’argent en Angleterre sous le couvert d’un séjour linguistique. Mais les affaires de ce monde interlope se dégradent avant que le couple effectue une dernière mission qui nous ramène au début du roman.

Modiano a l’art de raconter des histoires plus différentes qu’il n’y paraît, mais avec un style que l’on retrouve de livre en livre, au ton toujours égal, sans « jamais ou presque un cri », jouant de détails comme ces numéros de téléphone à trois lettres, témoins d’un temps révolu, cette atmosphère grisâtre « irréelle et inoffensive comme le souvenir d’un square », ces cafés où les uns vivent quand d’autres attendent indéfiniment. « Une jeunesse » m’a paru être un des romans les plus noirs de cet écrivain, au delà de la mélancolie. Louis et Odile n’ont aucun but ; ils se laissent porter par les événements, les rencontres. Ils sont ensemble mais s’aiment-ils ? Elle se laissera « faire » par un impresario, il succombera à « la cicatrice en forme d’étoile » d’une femme au charme égoïste. Contrairement à ce que dit la quatrième de couverture, ils n’ont aucune innocence, car ils n’ont aucune passion, aucune émotion, aucune fougue. Ils sont vieux avant même d’avoir vieilli. Le romancier compare cette jeunesse pesante à un rocher qui à la fin « tombe lentement dans la mer et disparaît dans une gerbe d’écume ».

On connaît la formule de Paul Nizan : « J’avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ». Patrick Modiano en apporte ici une illustration magistrale.

Chiens perdus 7 étoiles

L'ouverture du roman m'a donné tout d'abord l'impression d'une grande banalité, je dirai même d'une certaine pauvreté, à la fois dans la prose et dans les événements qui sont décrits. Puis l'auteur bascule la narration dans un retour en arrière, pour raconter la rencontre des deux protagonistes principaux, Odile et Louis. L'écriture de Modiano, quoique toujours d'une grande sobriété, "minimaliste" pourrait-on même dire avant l'heure, se déploie alors avec toute son étrangeté, dépeignant une ambiance particulière, très intrigante.

Mais Modiano évite habilement l'écueil de n'écrire là qu'un roman d'ambiance ennuyeux, il insuffle assez habilement juste ce qu'il faut d'une trame romanesque un peu improbable, mais pas gratuite : elle vient à son tour nourrir les questionnements du livre sur le bilan de l'existence que l'on peut faire quand vient le crépuscule de nos vies.

Du portrait de ce garçon et de cette fille, sans le sou, sans famille connue, un peu comme des chiens perdus, ballottés par un quotidien terne, cru parfois, émane malgré tout une sorte de légèreté, une douceur de vivre, un refus de songer au futur. Court roman, simple en apparence, une Jeunesse s'avère pourtant d'une richesse inattendue, me laissant personnellement assez partagé sur le sens réel à donner au roman.

Fanou03 - * - 48 ans - 2 janvier 2016


Paris, ville de tous les dangers quand on n'a pas encore 20 ans ... 8 étoiles

Ce n'est peut-être pas le roman de Patrick Modiano le plus célèbre, mais il est franchement intéressant et se lit d'une traite. Le lecteur suit avec le plus vif intérêt ce jeune couple dans Paris, deux jeunes gens un peu perdus, l'un acceptant des travaux troubles, l'autre souhaitant avoir une carrière musicale. Ce sont des personnes plus expérimentées et plus âgées qui seront leurs guides, pas toujours à bon escient. Pour ce qui est de l'intrigue, je n'y reviens pas, Jlc l'a très bien résumée.

Les deux personnages principaux sont plutôt attachants et dépassés par des décisions qu'on leur dicte. Comme eux, on s'interroge sur ces hommes qui les aident. On ignore qui ils sont précisément, s'ils sont complètement sincères avec eux ... Il y a toujours un halo de mystère qui entoure les personnages de Modiano et des individus qui semblent s'enrichir par des moyens pas toujours légaux.

L'écriture est toujours aussi envoûtante, malgré une certaine économie stylistique, la magie opère. Il y a bien une petite musique propre à cet auteur que l'on entend toujours et une manière de raconter qui fait que le lecteur est séduit par ce texte. Nul épisode rocambolesque, nul besoin de créer des personnages originaux pour marquer les esprits, Patrick Modiano possède son empreinte, que l'on peut ne pas aimer, mais, pour ma part, ses textes sont forts et laissent des impressions qui ne nous quittent pas. Son Paris est assez fascinant et l'on en viendrait presque à avoir envie de connaître ces personnages et ces lieux.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 31 octobre 2014