Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
de Jean-Jacques Rousseau

critiqué par Gregory mion, le 15 septembre 2011
( - 41 ans)


La note:  étoiles
D'un état de persistance de l'inégalité.
Le célèbre Discours de Rousseau répond à une question proposée par l’Académie de Dijon : « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes, et si elle est autorisée par la loi naturelle ». Dès le début, Rousseau n’entendra pas l’énoncé dans sa stricte acception. Tout d’abord, l’homme est probablement un objet de recherche dont il faut se défendre de posséder un savoir consistant, surtout quand on exige de la réflexion qu’elle remonte aux origines – Rousseau réagit en philosophe qui ressent quelque scrupule à se lancer sur un sujet dont le terme principal n’est pas même solidement arrimé dans la connaissance de son temps. Mais l’incertitude ne retranche rien à l’utilité de la question : en proposant de discourir sur l’homme et l’inégalité originelle qui découlerait de sa nature, on ne se prépare à rien d’autre qu’à l’édification d’une anthropologie. Et quitte à parler d’une préparation, précisons d’emblée que Rousseau va poser dans son Discours les jalons déterminants de son Contrat Social. C’est l’autre raison qui explique en quoi l’auteur se préoccupe moins de la question posée que ce qu’elle implique pour une philosophie politique qui cherchera à comprendre le passage du droit naturel à la société civile. D’où la thèse principale de ce Discours à tous égards intrépide et magnifique : s’il y a de l’inégalité parmi les hommes, tout au plus sera-t-elle de faible énergie à l’état de nature, et elle ira en s’intensifiant au fur et à mesure que l’homme s’imprègnera des mœurs de la vie sociale. L’affirmation d’une telle idée, sans la passer au crible de la discussion, risque d’induire en erreur le lecteur cosmopolite de notre monde présent.

Avec Rousseau, la situation de l’homme naturel (c'est-à-dire de l’homme vivant à l’état de nature) fonctionne dans sa rhétorique à l’instar d’une fiction utile. Car dans un premier temps il faut bien parler de rhétorique en ce qui concerne ce Discours : il ne s’agit pas tant de démontrer un état de fait que de persuader un auditoire sur un ensemble d’intuitions vives qui ne sont énoncées qu’en vue d’être ultérieurement étoffées dans le Contrat Social. C’est pourquoi nous serons souvent saisis par les images ingénieuses que Rousseau sélectionne afin de marquer l’esprit de ceux qui l’écoutent et de ceux qui le liront. Il n’est guère différent alors des sophistes et de leurs techniques épidictiques : si l’éloquence se maintient, si la forme devient garante du fond par les vertus de sa beauté envoûtante, alors on prendra plus facilement pour vrais des arguments qui en tout autre discours auraient paru fallacieux. Ce Discours, donc, est un siècle plus tard l’exact opposé du Discours de la Méthode de Descartes ; Rousseau ne se promet aucune bonne conduite dans la recherche de la vérité, il se concentre au contraire sur les outils de la littérature pour décrire un contexte que la science ne nous permet pas de connaître par les forces de l’esprit analytique : la situation de l’homme à l’état de nature. Faut-il alors reprocher à Rousseau une absence de rigueur dans la pensée ? J'aurais tendance à dire pour ma part qu'il est préférable de saluer ici l'urgence des vérités convoquées par l'intuition philosophique. Rousseau n'a pas le temps de composer un traité classique : il lui faut parler ici et maintenant, tant pis pour les excès et tant mieux pour le coup de génie.

Un fameux contresens proclame que Rousseau est le chantre du retour à la nature, comme s’il appelait de ses vœux les plus chers une agglomération de tous les Bons Sauvages. C’est l’inverse qu’il faut comprendre : la description de l’homme naturel est un mythe qui soutient l’argumentation philosophique (c’est en somme un peu l’inverse des mythes platoniciens qui soulignent les limites de la philosophie en insistant sur le besoin d’images marquantes). Rousseau est parfaitement conscient que nous n’avons que le modèle de l’homme civilisé pour nous exprimer. Du moins nous avons l’homme civilisé de l’Europe du XVIIIème que nous pouvons essayer de situer en contrepoint des barbares d’antan pour nous convaincre de ce qu’il est nécessaire d’interpréter dans l’opposition Nature/Société, ou tout bonnement Nature/Culture. Du reste, la simplicité fictionnelle de l’état de nature tel qu’il est envisagé dans la fable rousseauiste (qui s’inscrit notamment contre la fable de Hobbes où les hommes se font la guerre avant de passer un contrat civil en se soumettant verticalement à un souverain) est en soi étrangère à toute histoire humaine répertoriée. Plus spécifiquement, l’état de nature constitue une absence totale d’histoire. L’homme naturel est sans lendemain tandis que l’homme civilisé, en tant qu’il est entré dans l’Histoire, se fabrique la possibilité d’un futur aux multiples enjeux. En d’autres termes, le passage à l’Histoire responsabilise les hommes puisqu’ils deviennent des sujets actifs, des êtres préoccupés par le temps qui passe.
L’homme civilisé, en un sens, a appris que la mort serait le terme de sa participation historique ; c’est ce qui l’arrache de l’état naturel où il n’était qu’un être de sensations et d’indolence, en définitive pas très éloigné du règne animal. La vie sociale engendre des échelles de la responsabilité alors que la vie sauvage donnait à chacun les ressources de sa conservation neutre. L’inégalité est de ce point de vue affirmée par un état de légitime concurrence qui ne pouvait pas exister dans un monde où chaque individu était à lui-même le territoire de toutes ses espérances. Le vivre-ensemble neutralise la nature à plusieurs degrés : déjà l’urbanité raréfie l’étendue naturelle, puis l’homme se voit contraint de nier ce qui était autrefois ses motivations naturelles, transformant ainsi sa nature originelle en une sorte d’acculturation où le concept de PROPRIÉTÉ va rompre définitivement le lien naturel entre ce qu’il a été et ce qu’il est devenu – cf. le premier paragraphe de la seconde partie du Discours. Non seulement l’homme se ramollit à la ville étant donné qu’il a perdu ce qui le rendait fort à l’état de nature, mais il s’affaiblit d’autant plus qu’il est épuisant de justifier de ses propriétés quand une quantité de raisons indique aux autres que la propriété s’établit dans un régime de corruption. Certes il n’est pas correct de dire que l’urbanité encourage systématiquement la corruption, toutefois l’abandon du mythe de l’homme naturel appelle en passant un autre mythe, en l’occurrence celui de la fable des abeilles du très flegmatique Bernard de Mandeville (The Fable of the Bees, 1723), dont on peut retenir en gros cette conclusion : quiconque est vertueux sera incapable de fomenter des richesses ; en revanche, quiconque est vicieux et habile en séduction saura parfaitement s’insérer dans les énergies singulières de la vie économique. On en déduira ce qu’on voudra.

Le transfert de l’état de nature à l’état d’homme policé se réalise subtilement. Il est en effet important de noter que le Discours, dans sa rhétorique, a commencé par nous présenter en quelque sorte deux personnages mythologiques : d’un côté la Nature, de l’autre l’Homme. Or il n’est jamais aisé d’aller du mythe à la raison, si bien que l’accomplissement de cette route théorique relève parfois d’un habile détour, voire d’un saut qualitatif auquel il manque l’étape qui eût rendu le problème enfantin. Tâchons par conséquent de redonner à Rousseau les mérites qui nous apparaissent au premier coup d’œil sous les traits d’une pensée trop véloce.
Ce qui fait qu’un homme s’expatrie de sa condition naturelle indifférenciée de celle de l’animal, c’est sa propre capacité à se rendre meilleur. En quoi l’on pressent beaucoup mieux que l'homme n'a pas d'autre choix que de se montrer responsable : puisque nous avons la capacité de devenir meilleurs et que nous ne pouvons pas retourner au milieu du paradis perdu symbolisé par la fiction de l’état de nature, dans ce cas nous n’avons que notre situation d’hommes urbanisés pour créer des idées qui nous rendront autres que « dénaturés », ou autres que « dépravés » par des pensées peu reluisantes sur le plan moral. Tout vient en grande partie du fait que notre condition d’homme a inscrit en nous la puissance de choisir, c'est-à-dire la faculté de vouloir, laquelle épaissit le domaine de notre vie sensible – nous avons des idées parce que nous avons des sensations dira la tradition sensualiste de Condillac, cependant nous aurons ensuite le choix d’assortir les idées à des champs possibles d’actions, en quoi Rousseau passe d’un sensualisme de base à une forme de moralisme, soit un ersatz de philosophie pratique inséparable d’une réflexion combinée entre l’Histoire et la politique. Après quoi, Rousseau sera rapide sur l’annonce du consentement social (la décision de contracter) car ce n’est que dans le Contrat Social que la notion de Volonté générale prendra appui sur les germinations décisives de ce Discours.

Ainsi, les visées rousseauistes du Discours exacerbent le mythe de l’homme naturel dans le but de cristalliser la PERFECTIBILITÉ de l’homme en tant que tel. C’est parce que l’homme est par nature spirituel qu’il est perfectible, et tout l’intérêt d’une pratique incontournable de la vie sociale serait de réduire la légitimation des inégalités policées (les plus abominables) en supposant que l’homme est capable de progresser moralement – ce sera l’idée directrice des Lumières. Les inégalités naturelles sont une chose, toutefois elles n’arrivent pas à la honteuse cheville des inégalités qui ont métastasé grâce à l’organisation de la vie sociale. La ville s’oppose en principe à la progression morale parce qu’elle a fait régresser les hommes vers un en-deçà de l’état naturel. Toutes affaires cessantes, l’homme a le devoir de se reprendre en main, et pour y arriver il n’aura à sa disposition que la volonté de son intime progression morale. Pas question de s’en remettre à une métaphysique religieuse ou à une issue de secours transcendante : c’est en lui que l’homme doit chercher les prémisses de sa responsabilité en tant qu’être social. La tâche du progrès incombe aux individus qui croient non plus à la verticalité cynique du contrat de soumission proposé par Hobbes, mais à l’horizontalité d’un contrat où les hommes deviendront un « peuple souverain » sans qu’il n’y ait matière à penser un jeu de dupes entre le peuple et ceux qui gouvernent – à tout prendre, la souveraineté du peuple, en tant qu’elle est affermie par la Volonté générale, évacue toute idée d’oppression et toute impression d’inégalités impondérables.

L’homme, de ce fait, n’est pas un animal politique par nature comme le prétendait Aristote. Avec Rousseau, il s’engage à devenir un animal démocratique en suivant l’appel de ses responsabilités d’animal dénaturé. Il n’est nullement question de penser la Cité comme naturelle sui generis, ou comme allant de soi ; pour que les choses progressent, il convient de savoir proposer la matière du droit positif en ayant compris les enseignements du droit naturel, c'est-à-dire en ayant amélioré l’idée première d’un sentiment collectif à l’égard du concept de justice (le Contrat Social ne fait que cela). Avec le droit positif, le principal objectif sera de mettre en place une société où les conventions entre les citoyens dépasseront les critères naturels, à savoir l’idée d’un déterminisme silencieux où les choses tiennent ensemble car on imagine qu’elles sont parfaites dans leur manière d’être associées. C’était un fait qu’en Grèce, pendant l’Antiquité, la perfection ne pouvait se dire que dans les termes d’une forme achevée – l’âme était ainsi la forme du corps selon la conception aristotélicienne. Il pouvait donc paraître compliqué de discuter de certaines hiérarchies sociales même si les sophistes ont contribué, par l’intermédiaire de l’éloquence, à remettre en question la pérennité de plusieurs principes naturels, c’est-à-dire carrément cosmologiques en ce temps-là. Or que fait Rousseau dans ce Discours sinon acheminer par les ressources du langage l’action d’ouvrir douloureusement à la conscience une des choses les plus terribles de l’humanité : la cicatrisation perpétuelle des inégalités de droit. D’ailleurs, à l’heure où l’OCDE s’est prononcé sur le caractère inique de l’enseignement français, je crois qu’il serait temps de relire souverainement le Discours de Rousseau et d’interroger quelques-unes de nos atrocités sociales, si nombreuses dans l’Éducation Nationale, et pourtant rarement atteintes dans leurs fondements.
Intéressant. 9 étoiles

Rousseau dans son livre il débute comme la théorie d'Aristote, l'humain est divisé en deux genres, le maître et l'esclave, pis par la suite il s'explique durant trois cent pages. En fait on apprend tout et on n'apprend rien, ou on apprend la vérité sur l'être humain, sa violence, son hypocrisie et sa volonté de dominer l'autre. Enfin l'histoire se répète, ce genre de livre décrit à chaque fois les effets de la pyramide sociale, le pauvre face au riche, et le démuni face à l'homme avec du pouvoir, la grimpé sociale, l'élément social dans la vie d'un être humain. C'est un très bon livre, un chef d'oeuvre, Par contre c'est dommage, comme Aristote, au dernier chapitre il ne revient pas sur ses premiers mots, et à savoir l'esclave est-ce qu'il se plait de sa situation au fond du trou. Enfin tant pis.

Obriansp2 - - 53 ans - 7 mai 2016


L'inégalité et le "sauvage" selon Rousseau 8 étoiles

Comme son titre l’indique clairement, Rousseau discourt ici de l’origine des inégalités humaines, et particulièrement de celles opposant le « sauvage » à l’homme moderne européen du début 19ème siècle. Il existe selon lui deux sortes d’inégalités ; une naturelle, établie par la nature, « qui consiste dans la différence des âges, de la santé, des forces du corps et des qualités de l’esprit » ; une morale ou politique, qui « dépend d’une sorte de convention », « autorisée par le consentement des hommes ».

La vision de Rousseau envers le « sauvage », les « peuples primitifs », dont « les seuls biens qu’ils connaissent dans l’univers sont la nourriture, une femelle et le repos » interpelle. Concernant les époques lointaines, sans doute de la préhistoire, il affirme qu’ « il n’y avait ni éducation ni progrès ; les générations se multipliaient inutilement ; et chacune partant toujours du même point, les siècles s’écoulaient dans toute la grossièreté des premiers âges ». Ce n’est pas tellement sa vision qui choque, mais plutôt le fait que cette dernière soit encore répandue de nos jours : nous avons des préjugés concernant les « hommes préhistoriques » (par exemple, qu’ils vivaient dans des grottes) et dans nos propos, nous pouvons laisser entendre que nous sommes « mieux » adaptés que nos ancêtres. Dominique Guillo dans Ni Dieu ni Darwin questionne ces positions et les remet en question.

Le style argumentatif de Rousseau est agréable. Il n’hésite pas à faire des analogies et des comparaisons originales, comparant par exemple la liberté à des vins généreux.
Il s’interroge aussi sur l’influence du progrès ; apporte-t-il plus de bien que de mal ?

Ce petit essai rapidement parcouru et très accessible aborde des notions philosophiques incontournables

Elya - Savoie - 34 ans - 2 février 2013


De Rousseau à Darwin ? 5 étoiles

Ce discours est en effet pertinent à bien des égards, le problème est qu'il se base sur un état de nature qui est faux. Evidemment (ne le réduisons pas à ce qu'il ne dit pas !) il s'agit d'un mythe, une fiction qui sert juste à justifier tout son argumentaire. Rousseau n'a nullement l'intention de nous refaire "marcher à quatre pattes" (dixit Voltaire) ! Seulement les constants parallèles entre ce mythe et la réalité peuvent sérieusement entraver la lecture d'une oeuvre qui, malgré tout, reste originale. J'avoue en tous cas qu'elle m'est plusieurs fois tombé des mains.

La société engendrant la propriété, elle-même source d'inégalités ? Oui, mais est-ce une raison pour y voir la source de tout nos maux, un système corrompant notre nature soi-disant de bon sauvage ? Rousseau se montre ici simpliste à l'extrême.

Je comprends qu'il soit tentant de faire des parallèles avec Darwin et la paléoanthropologie. Pourtant tout ce que ces sciences prouvent est que l'homme est un primate dont les comportements, de par une descendance commune, peuvent s'expliquer en étudiant ceux des autres primates. Loin de supporter Rousseau elles montrent d'ailleurs en fait que nous sommes des animaux politiques par nature (fi de la société civile corruptrice !), que les inégalités sociales qu'il dénoncent ne sont qu'une forme pertinente d'inégalité parmi d'autres (celles qu'il dit "physiques" -génétiques- sont toutes aussi importantes pour éclairer notre vie sociale, ce qu'il ignore évidement) et que l'idée de bon sauvage est d'un simplisme naïf. Au-delà du piège grossier de se référer à un quelconque état de nature, en l’occurrence idéalisé et faux, pour jeter les bases d'une philosophie politique, le développement de la société n'est donc pas un mal allant à l'encontre de nos instincts naturels, loin de là ! Il est par exemple, et contrairement à ce que le philosophe affirme, la source de l'empathie.

Est-ce à dire que la lecture de ce discours est une perte de temps ? Non. Son idée de perfectibilité et sa reconnaissance du libre-arbitre (même si, là encore, la biologie évolutionniste a depuis soulevé des questions fascinantes le concernant) nous place face à nos propres responsabilités. Pas de fatalisme, nous pouvons donc corriger les fautes de la société civile. Comment ? Ce sera le but du "Contrat social" de développer sa ligne de pensée. Chacun jugera ensuite de la validité de ce dernier.

Oburoni - Waltham Cross - 41 ans - 30 mars 2012


Rousseau, le grand-père de l'anthropologie sociale moderne 10 étoiles

S'il y a un essai qu'on peut qualifier d'avant-gardiste dans les sciences humaines, c'est bien celui-ci.

Jean-Jacques Rousseau, grand philosophe des Lumières, se distinguait de ses contemporains par sa tendance à se fier à l'instinct plutôt qu'à la raison. Très perspicace et conscient des limites de ses propres connaissances, il nous livre dans son Discours un véritable acte de foi en l'homme et en sa capacité à se perfectionner (concept crucial pour les anthropologues), quoique cette qualité puisse également engendrer son malheur au sein de la société civile.

Fasciné par les encyclopédistes et les récits des explorateurs du Nouveau Monde, Rousseau nous livre un véritable bijou (non un lingot d'or!) sur l'origine des inégalités sociales telles qu'on les connaît. Avec un fin regard d'anthropologue, il remonte à l'origine de l'humanité, en décrivant l'état de nature de l'être humain, alors animal sauvage solitaire qui, ne cherchant qu'à combler ses besoins, ne peut connaître les notions de bien et de mal et, par conséquent, le malheur. On peut y voir un parallèle frappant avec l'australopithèque (quoique ce dernier fut grégaire).

Rousseau explique ensuite que les raisons ayant poussé l'homme à utiliser sa faculté à perfectionner tiennent de la contingence, c'est-à-dire, qu'elles auraient pu ne pas se produire. On y voit là un écho de la théorie de l'évolution de Darwin qui affirme que l'origine de l'homme n'est que le fruit du hasard. L'environnement y joue pour beaucoup, l'homme ayant un jour décidé de s'associer avec un autre pour pouvoir chasser et se protéger. Avec cela vient l'apparition du langage (autre concept crucial en anthropologie) et par conséquent, la vie en groupe. C'est là que la jalousie et la compétition naissent petit à petit... C'est l'homme des cavernes.

Finalement vient un événement décisif dans l'apparition de la société civile et de son lot de malheur : l'agriculture (!). Pour cultiver la terre, il faut des outils (métallurgie). Comme le forgeron manque de nourriture, il doit dépendre de l'agriculteur : là commence à apparaître l'égoïsme et l'importance des apparences. Naissent l'écart entre les deux classes, entre les riches et les pauvres, les forts et les faibles, les propriétaires et les ouvriers (allusion à Karl Marx). Voilà comment sont nées les inégalités sociales.

Après tout ce récit de l'humanité, Rousseau arrivera à conclure que les inégalités entre les humains ne sont pas justifiables et qu'elles ne sont qu'un simple artifice découlant de la vie en société. La liberté est inaliénable : on a le droit de refuser la domination. Mais au lieu de proposer de retourner à l'état de nature, ce qui est manifestement impossible, Rousseau proposera ce qui constituera le thème d'une de ses oeuvres maîtresses : le Contrat Social.

Comment un homme du 18e siècle a-t-il pu réussir à prédire, sans qu'il en soit complètement persuadé, des vérités que les biologistes et anthropologues confirmeront un ou deux siècles plus tard? Il faut le reconnaître : Jean-Jacques Rousseau, le sensible, l'intuitif, l'anti-rationaliste de son temps, fut un génie extraordinaire.

Montréalaise - - 30 ans - 19 octobre 2011