Viv(r)e la gratuité ! une issue au capitalisme vert
de Auteur inconnu

critiqué par OC-, le 4 septembre 2011
( - 27 ans)


La note:  étoiles
La gratuité : un combat à (ré)inventer?
Voilà un de ces livres qui peuvent bouleverser un homme, dans sa façon de voir la vie- ou en tout cas là dans sa façon de voir la politique. D'environ 160 pages, ce livre contient une vingtaine de textes de quelques pages, écrits par divers auteurs issus "des gauches" (communistes, anarchistes, écologistes, objecteurs de croissance, etc.), et traitant du thème de la gratuité. Je vais ici faire le résumé des textes les plus intéressants et abordables, car, il faut le dire, et c'est un des seuls reproches que je ferais à ce livre, presque une demi-douzaine d'articles d'historiens ou philosophes marxistes, de philosophes anarchistes, d'ethno-antropologue - bref, environ cinq articles sont pour le moins ésotériques, donc incompréhensibles pour moi.

-Le premier, Eloge de la gratuité, est une interview de Jean Louis Duvauroux, un des grands penseurs de la gratuité, par Paul Ariès.
Il nous invite, tout d'abord, à faire la distinction entre trois sortes de gratuité : les gratuités premières, les gratuités construites et les fausses gratuités. Les gratuités premières, c'est le soleil, la lumière, le ciel, l'air, etc. Les gratuités (politiquement) construites, c'est l'école gratuite, la sécurité sociale, certaines bibliothèques... C'est dans la défense et l'extension de ces gratuités là que se situe notre combat; mais la gratuité de quoi? pour qui? comment? ... je reviendrai à ces questions plus tard. Abordons maintenant les fausses gratuités, qu'est-ce? Eh bien, c'est tout simplement les journaux gratuits, les chaînes gratuites et tout ces produits infestés de publicité et qui ne sont présents uniquement grâce à elle. « Les programmes sont-ils gratuits? En effet, de la même façon que l'asticot embroché sur l'hameçon du pêcheur est gratuit pour la tanche.» Voilà pour les différentes gratuités.
Il nous explique ensuite que les gratuités se créent lorsque nait le sentiment d'un droit. Ainsi, le sentiment que l'instruction est un droit se traduit par l'école gratuite. A partir de là, nous pouvons très bien nous imaginer une sécurité sociale du logement, qui pourrait, par exemple, prendre en charge des frais lorsque l'on arrive plus à payer. Nous pouvons, encore plus d'ailleurs, nous imaginer une gratuité pour un quota d'eau et d'électricité.
Puis, Duvauroux aborde le sujet de l'écologie, et le nécessaire lien qui doit être tissé avec la gratuité, ces deux valeurs fondamentales et essentielles sur lesquelles devraient reposer notre société. Le lien n'est pas "inné". D'un côté, la gratuité est issue des familles productivistes de gauche. De l'autre, l'écologie n'est pas, par nature, sociale, ni rétive à la régulation par l'argent - ce qui serait totalement injuste. Le lien est donc dans " la gratuité du bon usage face au renchérissement du mésusage " .

-Pour l'extension du domaine de la gratuité, de Laure Pascarel et Denis Vicherat. Cette article développe ce que pourrait une application concrète d'une politique de gratuité. Auparavant, ils expliquent rapidement que la gratuité, en vue de permettre à tous l'accès aux besoins fondamentaux (nourriture, eau, logement, santé, éducation), est profondément humaniste. La mise en place de gratuités passe tout d'abord par un revenu universel d'existence. Il serait reversé à tous, sans exception. Ils fixent dans cet article le montant du revenu de 750 € pour les adultes et de 350 € pour les mineurs. Certains proposent de verser ce revenu en monnaies locales pour favoriser la relocalisation de l'économie. Mais comment le financer? Tout d'abord, le budget des allocations familiales ou d'autres allocations pourrait être reversé à ce revenu. Ensuite, cela passe par une refonte totale du système fiscal, en le rendant beaucoup plus progressif. Cela passe aussi par la mise en place d'un revenu maximum, au-delà duquel l'Etat prendrait; cette mesure contribuerait aussi à diminuer les inégalités sociales.
Ensuite, pour l'eau et l'électricité, il faut prendre la consommation annuelle par personne. Prenons l'eau, cela représente 150L par jour. On divise en trois tranches égales. La première serait gratuite (rendez-vous compte de l'immense avancée que ce serait?!) ; la deuxième au prix actuel ; la troisième renchéri (de sorte que celui qui consomme moins paie moins qu'aujourd'hui, celui qui consomme pareil paie pareil et celui qui consomme plus paie plus) ; et au-delà de 150L un renchérissement très fort et progressif.
La mise en place de transports communs gratuits est aussi une priorité, en vue de lutter contre la voiture individuelle et de réduire les gaz à effet de serre. Cette gratuité serait financée par un impôt sur les émissions de CO2 des véhicules privés ( avec un dispositif de déduction fiscale pour ceux qui n'ont pas le choix).
Il convient aussi de défendre et renforcer les gratuités existantes : éducation, santé, art ( pour les musées).

-Jacques Testart, biologiste reconnu, nous parle, dans La recherche comme on l'aimerait, de l'obscénité des politiques des pays développés pour la science. La science, aujourd'hui, dit-il, n'est plus au service des citoyens, mais des grands groupes industriels, laboratoires pharmaceutiques- bref, de toutes les multinationales pollueuses, Monsato, Pionner et toute la clique.«Dans l'ensemble des pays du G8, environ 40% des budgets publics de recherche-développement sont consacrés à des objectifs de puissance (la défense et l'espace) [alors que seulement] 15% à la médecine et à la biologie, 4% à l'énergie et 1,4% à la protection de l'environnement (chiffres de 2001)». Pour que la science soit au service du citoyen, une revue des distributions budgétaires et l'instauration d'un moratoire sur les nouvelles technologies (OGM, nanotechnologies, nucléaire...) seraient le bienvenu car, comme le si bien José Bové, nous ne pouvons pas nous permettre de jouer les apprentis sorciers.

- Paul Ariès clôt le livre avec La révolution par la gratuité. Il insiste sur le fait que la gratuité serait un - si ce n'est le - moyen pour rendre désirable la décroissance et l'anti-productivisme. C'est lui, donc, qui parle de gratuité du bon usage et de renchérissement du mésusage. « Pourquoi payer au même tarif le mètre cube d'eau pour faire son ménage et remplir sa piscine privée?[...]Le danger serait que cette politique renforce les inégalités en permettant l'accès aux mésusages à une petite minorité fortunée. C'est pourquoi ce paradigme de "la gratuité de l'usage" et du "renchérissement du mésusage" ne peut aller sans une diminution importante de la hiérarchie des revenus et sans une réflexion sur l'adoption d'un revenu universel d'existence, RUE accouplé à un revenu maximal autorisé, RMA. »

On pourra apprécier dans ce livre les propositions concrètes. Voilà, nous (la gauche antiproductiviste, notamment les objecteurs de croissance) avons là une esquisse de programme politique de ce qu'est un thème majeur de notre lutte : la décroissance des inégalités sociales, la répartition (ou, pour dire comme Latouche, la redistribution) des richesses. Bien sûr, la gratuité ne fera pas tout, et Duvauroux le dit lui-même : elle n'est pas le messie. La redistribution des terres, l'arrêt de l'agriculture productiviste pour une agriculture biologique et paysanne, la fin de l'obsolescence programmée, etc. sont un tas d'autres mesure pour lesquelles il va falloir réfléchir à une application politique; mais là n'est pas le sujet de ce livre.