Le compagnon secret
de Joseph Conrad

critiqué par Kinbote, le 3 juillet 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Un récit fabuleux
Le capitaine d’un bateau recueille un homme nu à bord. Il installe l’homme dans sa cabine qui confie s’être échappé à la nage d'un autre navire après y avoir commis un meurtre. Il cache à l'équipage sa découverte et fait prendre des risques à ses hommes ainsi qu’à son bâtiment pour approcher de la côte, que son hôte secret pourra ensuite rallier.
Il s’installe d'emblée une complicité entre le narrateur et l'homme qu’il a secouru : ils sont obligés de se parler bas, tête contre tête, pour ne pas attirer l’attention. Le capitaine doit user de ruses, notamment avec son steward, pour dissimuler celui qu’il appelle plusieurs fois son double. On comprend que cette complicité fugace offre un rempart à l'homme seul contre les doutes qu'il nourrit sur ses capacités à mener la bateau à bon port et à diriger son équipage même si l'autre moi est en porte-à-faux (mais c'est plutôt une force pour celui qui doute) avec la société.

Ce court récit, écrit en 1909 par l’auteur de Lord Jim et de Typhon et qui s’inspire à la fois de l'expérience de marin de l’auteur et d’un fait divers, s’offre à nombre d'interprétations et de réflexions sur sa portée symbolique, signe qu'on a affaire là à une œuvre rare.
J’ai un peu regretté que l'histoire n’abonde pas en péripéties et que l’auteur ne l’ait pas travaillée davantage, en mettant par exemple la complicité des deux hommes à l'épreuve. On a l'impression d’une épure, du brouillon d’une oeuvre future de plus grande envergure. Ca ne constitue pas moins un de ces récits proprement fabuleux au même titre que « La Métamorphose » ou que « Bartleby » pour ne citer que ces deux exemples.