Trente ans avec sursis
de François Debré

critiqué par Rosenoire, le 22 août 2011
( - 53 ans)


La note:  étoiles
voyage au bout de la nuit
J’ai commencé ce livre par hasard, puisque chiné comme il arrive quelque fois sur un vide-grenier ; le nom célèbre de l’auteur, fils de Michel Debré et frère de Jean-Louis et Bernard et le sujet du livre ayant éveillé mon intérêt.

Ce livre m’a plus que séduite puisque très rapidement, il m’a littéralement saisie et possédée, m’entrainant sur le terrain d’émotions fortes et mélangées, entre fascination et larmes.
Il mérite à mon sens qu’on s’y arrête attentivement pour les 2 grandes rencontres auxquelles il invite.

Rencontre avec un auteur tout d’abord ; lequel nous livre sa propre vie sans détours, ni masque, ou fausse pudeur, révélant une vraie personnalité, peu ordinaire, qui nous pousse à la réflexion. Vie déroutante, surprenante du fait de sa profession, F. Debré est en effet journaliste de guerre - ce qui permet au lecteur de l’accompagner rétrospectivement sur les principaux conflits mondiaux ayant frappé les années 70 et 80 et de pouvoir y sentir des atmosphères très particulières (au Biafra, au Vietnam, au Cambodge et en Iran notamment). L’un des attraits du livre est en effet, de pouvoir appréhender au plus juste, grâce à des descriptions de situations très précises et retracées avec sensibilité, l’ambiance attachée à ces différents évènements. Côté privé, une vie intéressante aussi, pas du fait de sa naissance, mais des combats que le narrateur a essayé de livrer à lui-même contre ses angoisses et surtout la drogue pendant de nombreuses années.

Cela m’amène à la 2ème rencontre vers laquelle nous entraîne ce livre, rencontre qui est peut-être encore plus forte puisqu’elle se fait avec soi-même.
La description de la dépendance de Bertrand à la drogue, ses causes, ses effets, ses conséquences, nous renvoie ainsi à ce que chacun a vécu, vivra ou évitera soigneusement ou par chance de vivre.
L’histoire parle de la drogue, mais elle peut s’appliquer à chacun d’entre nous concernant toute forme d’addiction qu’il est possible à un moment de sa vie de croiser que ce soit à des substances (tabac, alcool, aliments…), des personnes ou encore à des passions de tous ordres. Les effets irrépressibles, destructeurs qui en découlent sont admirablement dépeints et nous invitent à réfléchir chacun sur nos propres dépendances, leurs raisons, les moyens de s’en sortir ou encore les causes d’une volonté ou d’une absence de volonté pour la surmonter. Pour reprendre une citation utilisée par l’auteur en conclusion de son roman ‘Je sais ce qui est bien, mais je fais ce qui est mal’ (O Wilde). Chacun a pu à divers titres se reconnaître, reste à savoir pourquoi.

Par ailleurs, outre le narrateur et son histoire, la palette de personnages qui l’accompagnent dans ce livre est tout aussi propice à la réflexion et désarmante de vérités, qu’il s’agisse :
- de sa femme qu’il décrit amoureusement,
- de ses compagnons de voyage : Jean-Pierre, le mercenaire et surtout Ferber le médecin dont le portrait est celui de Bernard Kouchner, retraçant ses engagements comme médecin humanitaire et sa vision du droit d’ingérence au profit des populations civiles touchées par les guerres ;
- mais aussi des malades qui partagent son quotidien dans l’établissement de soins où il poursuit sa vie, tous atteints de différents troubles révélateurs d’une société autant fragilisante que fragilisée.
Livre enrichissant donc, écrit par un auteur de talent qui a d’ailleurs reçu le prix Albert Londres et manqué de peu le Goncourt. Si vous l’avez manqué à sa sortie, il y a 13 ans déjà, il est encore temps de rattraper le temps perdu.