Tu étais si gentil quand tu étais petit
de Jean Anouilh

critiqué par Perlimplim, le 10 août 2011
(Paris - 47 ans)


La note:  étoiles
Intemporel
"Tu étais si gentil quand tu étais petit" est une pièce tardive de Jean Anouilh, et a été créée en 1972 en Théâtre Antoine. Intégré dans le volume des "Pièces secrètes", elle reste malheureusement trop méconnue eu égard à ses grandes qualités. Jean Anouilh revisite les Atrides et l'histoire d'Electre sous un angle tout à fait étonnant et extrêmement pertinent. Les personnages n'appartiennent plus à l'histoire antique, mais au mythe, et ils rejouent chaque soir, invariablement, leur tragédie. Ils n'en sont que plus humains, conscients de la fatalité de leur histoire et de son dénouement sanglant. Pour les accompagner dans leur danse macabre sans fin, un orchestre de bastringue, composé de trois femmes et d'un homme. La présence des musiciens sur scène ancre la tragédie dans le présent du spectateur (ou lecteur), et donne au mythe son immédiateté. Ils commentent l'action principale (Anouilh reprend très clairement ses devanciers grecs), prennent parti et portent un regard distancié, volontiers ironique sur la trame principale. Mais surtout, alors que les Atrides se déchirent sur scène, chacun des musiciens va comparer sa propre petite histoire-dessinée souvent en quelques mots-à cette tragédie intemporelle. Anouilh, par ce procédé, ne se contente pas d'écrire une énième version d'Electre, mais montre qu'il y a un peu des Atrides dans toutes les familles. Que cette tragédie, que rejouent chaque soir des acteurs fatigués, se rejoue indéfiniment dans les foyers. Qu'une part d'Electre, Egisthe, Clytemnestre, Oreste est en chacun. L'histoire se répète, car elle n'est autre que l'histoire de la nature humaine, et la pièce se termine de la même façon qu'elle avait commencée: Electre est assise, et attend le retour d'Oreste.
"Tu étais si gentil quand tu étais petit" surprend réellement lors de son dénouement. Alors que l'orchestre s'était contenté de commenter les personnages principaux, il devient acteur, et les trois musiciennes assument la fonctions des Euménides. Elles veulent déchiqueter Oreste après son crime, et Anouilh souligne combien cette sorte de "vox populi" qui fait elle-même justice peut-être violente.
Jean Anouilh livre avec "Tu étais si gentil quand tu étais petit" une oeuvre surprenante, parfois dérangeante, aux qualités évidentes, mais sans concession aucune ni pour les personnages "mythiques", ni pour ses contemporains. A découvrir.