La richesse des nations
de Adam Smith

critiqué par Millepages, le 30 juillet 2011
(Bruxelles - 64 ans)


La note:  étoiles
Texte fondateur
Dans cet essai, Adam Smith cerne pour la première fois de manière aussi claire les grandes questions qui taraudent toujours les économistes d'aujourd'hui.

Paru en 1776, le livre est contemporain de la révolution industrielle en Grande-Bretagne et du cortège de conséquences qui s'ensuit : promotion du machinisme, développement d'une classe ouvrière, urbanisation, etc.

Toutes les grandes questions de l'économie politique sont là, déjà bien développées : valeur et prix des marchandises, répartition des revenus, croissance....

Son credo : c'est en cherchant à réaliser son intérêt personnel que chacun contribue le mieux à la prospérité générale d'un pays, plus en tout cas que si l'intérêt général était le but recherché. C'est le marché et la libre concurrence qui sont vecteurs de bien-être national et l'Etat ne doit pas intervenir dans la vie économique et se contenter des tâches d'administration et de justice, ou encore de la construction et l'entretien des ouvrages publics si les particuliers ne trouvent d'intérêt à le faire.

Voilà bien jetées les notions de base du libéralisme économique. Les partisans de cette doctrine diraient aujourd'hui qu'avant de penser à répartir équitablement les richesses, il faut d'abord les créer. Argument implacable, sauf qu'une fois créées, on ne s' embarrasse pas toujours de les distribuer....

L'auteur explique encore que la richesse est créée par le travail, ce en quoi il se distanciait des théories existantes selon lesquelles seule l'agriculture était créatrice de matières premières et donc productive de richesse, l'industrie ne faisant "que" modifier les matières premières.

Il est un partisan convaincu de la division du travail à laquelle il attribue trois vertus principales : l'accroissement de l'habilité dû à la spécialisation des travailleurs, l'économie de temps du fait qu'ils ne passent pas d'un travail à un autre et l'utilisation plus fréquente des machines. Pour illustrer son propos, Adam Smith cite l'exemple de la manufacture d'épingles :

"Un ouvrier tire le fil de la bobine, un autre le dresse, un troisième coupe la dressée, un quatrième empointe, un cinquième est employé à émoudre le bout qui doit recevoir la tête. Cette tête est elle-même l'objet de deux ou trois opérations séparées : la frapper est une besogne particulière; blanchir les épingles en est une autre; c'est même un métier distinct et séparé que de piquer les papiers et d'y bouter les épingles; enfin, l'important travail de faire une épingle est divisé en dix-huit opérations distinctes ou environ, lesquelles dans certaines fabriques sont remplies par autant de mains différentes, quoique dans d'autres le même ouvrier en remplisse deux ou trois"
Tout le monde aura noté au passage que cette apologie de la division du travail faisait naturellement bien peu de cas de l'épanouissement du travailleur; ce que Charlie Chaplin illustra de manière inoubliable un siècle et demi plus tard dans son fameux "Les Temps modernes".

Et pourtant, Adam Smith n'est pas insensible au phénomène de l'exploitation du travail par le capital. Mais là encore, il compte sur le marché pour corriger ce défaut, car, à l'instar des marchandises, plus le travail apportera de la valeur ajoutée, plus il sera demandé et plus sa valeur réelle sur le marché sera augmentée.

Le libéralisme économique est pour Smith l'idéologie la plus apte à promouvoir la croissance qui dépend de l'accumulation du capital qui lui même ne se produit que si une partie du revenu est épargnée. En estimant que cette épargne sera automatiquement dépensée, il ne tient cependant pas compte que la partie épargnée puisse être trop élevée par rapport à la partie consacrée à la consommation, ce qui a pourtant souvent été le grain de sable qui grippe la sacro-sainte croissance.

Il ne voit pas non plus autre chose en la monnaie qu'une unité de compte qui permet l'échange de marchandises, omettant qu'elle puisse aussi être une réserve de valeur et donc demandée pour elle-même.

L'auteur insiste enfin sur la nécessité de créer et maintenir les débouchés extérieurs qui favorise le développement plus que proportionnel de l'activité intérieure, soit la notion, chère aux économistes plus contemporains, d'effet multiplicateur du commerce extérieur.

En résumé, La richesse des nations permet de revenir aux sources et de mieux comprendre les mécanismes qui régissent encore l'économie d'aujourd'hui.
Théorie économique 7 étoiles

La première publication de ce livre date de 1776. L’édition que j’ai eu entre les mains du Monde/ Flammarion, collection « Les livres qui ont changé le monde » datait de 2009. Cette collection comprend une dizaine d’essais sur des sujets très divers : physique, psychologie, éducation, économie, politique… Le texte est reproduit dans son intégralité, ou, comme ici, un peu tronqué par Jacques Valier, l’éditeur, qui l’introduit également en 3-4 pages. J’ai trouvé dommage que cette préface soit en fait une « simple » synthèse de l’ouvrage, et une brève analyse critique. J’aurai préféré qu’elle détaille plus le contexte d’écriture et qu’elle confronte la théorie de Smith aux théories économiques d’aujourd’hui.

Il s’agit du premier ouvrage que je lis traitant d’une théorie économique. Je n’ai pas éprouvé de difficulté particulière pour saisir la thèse de l’auteur et suivre ses raisonnements, même si je n’en ai pas retenu grand-chose. Presque tout parait assez « logique », les définitions assez réalistes, même 3 siècles après. Et c’est bien ça le problème. Un auteur avec un tout autre raisonnement sur le même sujet (le système économique et politique de son époque) aurait pu tout autant me paraitre censé. J’ai l’impression qu’Adam Smith se base uniquement sur ses réflexions et sa logique pour aboutir à cette théorie ; on ne ressent même pas qu’il s’appuie sur une analyse historique, ou sur des travaux d’autres auteurs. C’est pour cela que j’aurai aimé une introduction critique épistémologique de l’ouvrage. Quelle est la valeur scientifique d’une telle théorie ? Peut-on d’ailleurs même oser parler de valeur scientifique ? Les théories économiques d’aujourd’hui sont-elles bâties d’une manière aussi arbitraire ?

Si je devais lire à nouveau un livre traitant d’économie, j’en chercherai un qui aborde les questions précédentes. En attendant, l’ouvrage d’Adam Smith reste pour moi une introduction à l’économie via un classique, et c’est tout.

Elya - Savoie - 34 ans - 27 octobre 2013