Si longues secondes
de Daniel Charneux, Salvatore Gucciardo (Dessin)

critiqué par Kinbote, le 18 juillet 2011
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
60 haïkus
Comme l’écrit Colette Nys-Mazure dans sa préface, il est difficile voire absurde de parler des haïkus, genre fondé sur le lâcher-prise et la non intentionnalité : « Dire qu’on ne va rien dire et malgré tout tenter de mettre en lumière la puissance du mystère. »

Dans ce recueil illustré par Salvatore Gucciardo, ce sont soixante (comme le nombre de secondes, de minutes dans l’unité supérieure) haïkus qui s’offrent à voir et à lire à raison de trois par page et par dessin, réunis suivant un thème. Il y est question de vieilles et d’enfants, de soleil et de bleu, de feu et de nuage, de neige et de marée, d’arbres et d’oiseaux, d’ombre et de lumière...

Ce qui distingue les haïkus de Daniel Charneux, outre leur « perfection » (on croirait parfois lire des haïkus d’Issa, Basho ou de Ryokan – auquel l’auteur a consacré un roman), c’est l’attention portée aux signes de vie, l’étonnement proprement joyeux d’être en vie. Mais à pointer les faits de manière si aigüe, Charneux relève le caractère éphémère de ces petites épiphanies. Rien ne dure et il n’y a rien à déplorer. Et pourtant, à la lecture de ces fragments (sans cause ni effet, isolés du temps), comme à la vue de photos un peu datées ou au souvenir des dimanches, on ne peut s’empêcher de sentir la mort au cœur de chaque micro-événement. Ainsi que l’écrit la préfacière, Daniel Charneux « essaie de maintenir ensemble les deux extrêmes, de n’être infidèle ni à la beauté ni à la misère de l’univers. »

petit feu qui meurt
tout le long de l’allumette
le bois qui se tord

galet solitaire
recueilli à marée basse
son poids dans ma main

neige belle étrenne
dans le bois carte postale
où fond le soleil

À la lecture de ces instantanés, on pense volontiers à cette phrase de Léon-Paul Fargue : « L’art ne sera que là où vous saurez percevoir, et faire apercevoir, la solidarité haineuse qui lie l’être et le vivre. » Même si ici, « haineuse », est de trop.

Les dessins saisissants de Salvatore Gucciardo, à l’encre de Chine, aux motifs d’un noir profond, gravent l’instant dans la durée et font chatoyer toutes les nuances de gris alentour dans une atmosphère tantôt lourde, tantôt légère, comme s’ils pointaient le tragique, sans pathos, de toute existence.

Cet ouvrage, dans lequel on aura rarement autant ressenti la communion entre un auteur et un artiste, est dû aux éditions Audace, dirigée par Pierre Bragard, dans la collection "Terre d’asile" « dont le but est de donner la parole à des créateurs qui ont trouvé asile chez nous ». En l’occurrence, Salvatore Gucciardo, originaire de Sicile, qui vit en Belgique depuis l’âge de 8 ans.

En signalant enfin que les bénéfices générés par la vente du recueil vont à une association de lutte contre la leucémie, on aura dit l’essentiel du commentaire. Reste à chaque lecteur à embarquer pour un voyage au quotidien, yeux et sens aux aguets, en quête de ces fleurs du temps qui s'ouvrent sur un intemporel présent...

temps figé soudain
le surplace de l’aiguille
si longues secondes