Du contrat social
de Jean-Jacques Rousseau

critiqué par Ngc111, le 13 juillet 2011
( - 38 ans)


La note:  étoiles
Politique abstraite
Avec Du contrat social, Rousseau réalise un ouvrage de politique abstraite dont le but est de concevoir les bases de ce que serait un État au système politique exemplaire.

Pour cela la notion clef employée par l'auteur est la fameuse volonté générale qui exprimerait donc la volonté commune de tous les citoyens. Bien entendu il n'est pas question d'entrevoir cette volonté générale comme l'ensemble des volontés particulières mais plutôt comme une expression collective qui se dégagerait d'un peuple.
Le philosophe nous explique aussi que ce peuple disposerait par conséquent, par l'intermédiaire de cette volonté générale, du pouvoir législatif... même si il ne rédigerait pas expressément ces lois ; ces dernières seraient l'acte de magistrats qui exprimeraient cette volonté par un acte législatif. Le peuple est souverain selon Rousseau.
Quid du gouvernement ? Lui n'est du coup plus souverain, qu'il soit monarchique, aristocratique ou encore démocratique ; il applique (si l'on peut dire) la volonté générale, et exerce bien sûr toujours des fonctions comme celle de police par exemple.

L'ouvrage est assez court et l'on sent que Rousseau avait prévu quelque chose de plus conséquent (qu'il a malheureusement détruit), ce contrat social n'étant que le début, l'introduction d'un plus vaste projet.
Quelques autres thèmes comme l'influence de la religion, des exemples historiques (ceux de Rome et de Venise notamment) sont abordés mais pas en profondeur.
D'une manière générale les chapitres sont assez courts et de ce fait donnent la sensation que certaines théories ne sont que survolées. Dommage !
De même le côté abstrait de cet exposé politique peut être parfois gênant, avec un ton idéaliste forcément moins impliquant par moment. Le fait que l'idée majeure du livre soit inapplicable rendra l’œuvre moins importante aux yeux de certains...

Mais ce condensé de réflexions, ce tourbillons d'idées est émulsif et parvient à capter l'attention et à faire réfléchir le lecteur. Qui plus est on y trouve aussi des passages très justes, pleins de bon sens et de vérité. De même cette volonté de démontrer que certains mots sont antagonistes ou qu'ils ne peuvent en tout cas pas coexister est tout à fait louable et même ingénieuse.

A lire donc pour la réflexion qu'il amène !
L'ami Jean-Jacques aux prises avec le Peuple 8 étoiles

Ouvrage de philosophie politique publié en 1762, qui servira de base philosophique à la Terreur de 1793 en France.
Rousseau commence son second chapitre par un raisonnement qui me semble très vrai : quelle est la première forme de construction sociale, la forme la plus primitive ? LA FAMILLE. Il y a donc toujours des gouvernants (parents) et des gouvernés (enfants). Dès lors, la démocratie, au sens anarchique du terme, perd tout son crédit.
Lorsqu’il expose son idée du Contrat Social, Rousseau, comme je m’y attendais, se rapproche sensiblement de l’utopie science-fictionnelle. Pas de mal à ça : la philosophie politique, c’est aussi la recherche de l’idéal. Il nous présente un peuple bon (la société, soudain, ne le corrompt plus), un souverain qui se refuse à usurper sa souveraineté (choisi par le peuple, il ne pourra que mourir ou être congédié par le peuple), et un corps social, appelé l’Etat, absolument uni, qui ne peut exister que si chaque membre s’y soumet entièrement et totalement (pas de demi-mesure), s’aliénant tous ses droits à cet Etat, qui devra logiquement, par une juste répartition des droits, rendre à chacun l’équivalent de ce qu’il a perdu. Vous l’avez compris : c’est plus un schéma qu’un projet politique. Mais il n’y a aucun mal à émettre des idées utopiques, bien au contraire. Tout de même, Rousseau force un peu sur le portrait du législateur – être surnaturel, sage entre les sages, capable d’explorer les exigences sociales dans le détail comme dans le général... Pardonnez-moi, mais je laisse cette rêverie au Promeneur Solitaire, merci.
Rousseau s’empresse de nous rassurer sur le droit de propriété que l’on ne s’aliène pas avec les autres : comme s’il avait peur qu’on ne le confonde avec Marx. Pourtant, il n’aura échappé à personne la similitude visible entre les deux doctrines.
Après des livres I et II très intéressants mais qui nous laissent sceptiques, l’auteur semble changer de veste dans les livres III et IV. Le Contrat Social, d’un point de vue réaliste, comment l’appliquer ? Le pouvoir législatif au peuple par l’intermédiaire du législateur, c’est bien beau, mais le pouvoir exécutif, sans gouvernement, c’est impossible. Ses descriptions des trois modèles de gouvernement : démocratie, aristocratie et monarchie sont captivantes : chacune a ses avantages et ses inconvénients. Rousseau pense que les Etats petits et pauvres doivent se faire démocraties, les Etats de taille moyenne et de richesse médiocre doivent se faire aristocraties, et les Etats immenses et riches doivent se faire monarchies. Bien sûr, il ne lâche à aucun moment le suffrage universel – il est Républicain, ne l’oublions pas.
Puis Rousseau, dans le livre IV, s’enfonce encore davantage dans le réalisme noir : le Contrat Social n’est pas éternel, même avec les « assemblées populaires ». Pour prolonger son existence, il faut jouer de leviers pour le moins inattendus : le tribunat romain (Rousseau est un admirateur de la République Romaine, rappelons-le), la censure (et si le peuple rejetait le Contrat Social par ignorance et par insensibilité ?) et puis, pendant qu’on y est, la dictature (en cas d’extrême péril du Contrat Social).
Pourquoi ? Simplement parce que Rousseau prend conscience que le peuple, corrompu par la société, ne peut pas le suivre sur tous ses avis. C’est l’inconvénient de son Contrat Social : dès lors que les hommes refusent de se donner entièrement, le peuple n’est plus le peuple, c’est un méchant peuple, un peuple qui met en péril le peuple. Déjà, l’idée semble poussée aux limites de la cohérence : c’est ce problème que Maximilien Robespierre, émule de Rousseau, ne saura pas voir, trente-et-un ans seulement après la publication de ce texte.
Enfin, il termine son ouvrage par un très beau texte anticlérical (ce n’est pas de l’ironie de ma part : j’en reconnais les qualités) où il explique pour quelles raisons la religion chrétienne est nocive pour le Contrat Social.

Au fond, peut-être que Rousseau m’a conforté dans mon idée de départ, à savoir : rien n’est plus meurtrier que les utopies. C’est toujours passionnant de suivre la pensée humaine, mais il ne faut pas oublier qu’elle peut se tromper, et se tromper lourdement. Mais Rousseau a le mérite d’être cohérent, dans sa philosophie comme dans son attitude : notamment dans sa défense de la vertu (pour cela, il se fera des ennemis même chez l’Encyclopédie)

Pour terminer, je signalerais juste au livre III, chapitre 9, que Rousseau évoque l'accroissement de la population comme indice de prospérité (ou du moins d'équilibre social). Dans l'Europe occidentale du XXIème siècle, le taux de natalité est très faible… ce qui laisse sans doute de mauvais présages. A méditer…

Martin1 - Chavagnes-en-Paillers (Vendée) - - ans - 22 août 2014


Droit au XVIIIème 7 étoiles

Je rédige ce texte après avoir lu pour la seconde fois le Contrat social. La relecture des Confessions m’a donné envie de le relire, parce que je pensais mieux saisir le contexte dans lequel il avait été écrit. Qui plus est, j’apprécie la rhétorique de Rousseau, sa façon de définir les choses, les « principes » comme il les appelle, et de les illustrer d’exemples empruntés à la vie quotidienne ou à l’histoire antique.

Le but du Contrat social est donc de :
« Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s’unissant à tous, n’obéisse pourtant qu’à lui-même, et reste aussi libre qu’auparavant. »
Rousseau affirme clairement qu’il a trouvé la solution, en 130 pages et quelques années de cogitations. Il avait initialement comme projet d’écrire sur les Institutions publiques un énorme ouvrage, qui s’est finalement transformé en un condensé (cf Ecrits Politiques de Rousseau chez Le livre de poche, qui relate le contexte dans lequel cet essai a pris forme).

Disons le tout de suite : je préfère mille fois le Rousseau qui nous parle, sans jamais babiller, de ses passions, de ses déceptions, de sa vie dans ce qu’elle a de plus personnel, de son point de vue subjectif sur la société, plutôt que le Rousseau qui nous parle de politique et de droit, en démontrant par des assertassions et des jugements moraux.
Pourtant, la langue qu’emploie Rousseau est toujours aussi claire et plaisante. Cependant, le sujet est plus complexe, et même si le philosophe prend le temps de définir de nombreuses notions, il n’est pas évident à saisir pour moi qui n’y connais rien en droit.
En fait, j’ai plutôt retenu ses positions sur certains sujets (l’esclavage, la souveraineté, l’autorité…) que sa thèse globale. J’ai apprécié qu’il nous parle de gouvernements passés, en essayant d’y tirer des leçons, même si cela est difficile puisque nous avons nécessairement des informations erronées concernant les politiques antiques.
Maintenant, c’est le premier livre qui parle de droit que je lis, donc je n’ai aucune idée sur la « véracité » de ses propos, de ses principes, de s’ils sont communément admis aujourd’hui ou pas. Il y a tout de même des choses qui me choquent, par exemple lorsqu’il prétend que le type de régime s’explique en fonction du climat ; les pays chauds sont alors condamnés au despotisme, les pays froids à la barbarie, et, bingo, les régions intermédiaires aux bonnes politiques….

A choisir entre Discours sur l’inégalité parmi les hommes et Du contrat social, les deux essais de Rousseau dont j’ai le plus entendu parler et qui se trouvent le plus facilement en ebook, j’y ai préféré le premier, bien que son contenu soit complètement dépassée.

Elya - Savoie - 34 ans - 28 août 2013


la genèse du communisme? 8 étoiles

Faut-il privilégier l'intérêt général au profit des libertés individuelles afin de préserver la paix sociale dans un groupe d'individus? C'est ce postulat que développe Rousseau, bien avant le "manifeste" de Marx. Ces deux ouvrages sont d'ailleurs très purs et convaincants en théorie. Nous en avons vu les limites en pratique avec les dérives et les barbaries des régimes communautaires du 20ème siècle ayant été jusqu'à nier toutes libertés individuelles...

Paquerette01 - Chambly - 52 ans - 1 mars 2012


La souveraineté du peuple 6 étoiles

"Du contrat social" fait partie de ces oeuvres que l'on croit connaitre et qui, pourtant, n'en finissent pas de laisser perplexe.

Partant d'un pacte social où les individus abandonnent leur liberté individuelle au profit d'une liberté civile censée servir les intérêts de tous, Rousseau fait plus que de livrer une hypothèse sur la naissance des sociétés; il cherche surtout à savoir quelles en seraient les meilleures formes de fonctionnement. Une fois une communauté née elle doit en effet se fixer des lois. La question est de savoir : via quelle forme de gouvernement ?

Il discute alors des mérites et failles de la démocratie, de l'aristocratie et de la monarchie; la démographie étant le facteur décisif décidant de quelle forme est la plus apte à telle ou telle société.

Ses raisonnements sont pertinents. Il n'en demeure pas moins tortueux et obscur par moment (preuve de la difficulté du problème), ses conclusions étant, elles, assez inquiétantes.

Attaché au citoyen comme faiseur de loi ("Toute loi que le Peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle"), comme le souligne Ngc111 (critique principale) il n'en reconnait pas moins le besoin d'institutions pour exprimer la volonté générale. Pour s'assurer que les législateurs obéissent a cette volonté un bon gouvernement doit dès lors engager l'ensemble des citoyens qui ont, donc, une obligation envers l'Etat de participer à son fonctionnement. Une "religion civile" devient alors nécessaire pour encourager cette participation.

Ne cachant pas son admiration pour la Rome antique et Sparte il fait plus que de souligner l'importance de mettre en place des mesures pour instiller ce sentiment de devoir. Il défend la censure comme moyen de se prémunir contre la corruption des moeurs et la destruction du lien social. Il justifie, aussi, la dictature en cas de nécessité et voit même dans la pluralité des opinions "l'ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l'Etat".

Au fil des chapitres Rousseau glisse, et il devient difficile de ne pas voir cette volonté générale être élevée, peu a peu, en un dogme potentiellement dangereux pour les volontés individuelles qui ne s'y reconnaitraient pas. Derrière Rousseau pointe l'ombre de Robespierre, on comprend un peu mieux pourquoi...

Un livre qui n'a pas fini d'alimenter la réflexion.

Oburoni - Waltham Cross - 41 ans - 18 décembre 2011