35 variations sur un thème de Marcel Proust
de Georges Perec

critiqué par Lucien, le 9 juin 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Exercices de style, encore et toujours
En 1742, Jean-Sébastien Bach publie 30 variations pour clavier qui passeront à la postérité sous le nom de «Variations Goldberg». Une aria toute simple subit trente métamorphoses brillantes où le Kantor donne libre cours à son imagination et à sa maîtrise de la composition. Quelques décennies plus tard, Beethoven, à la demande de l'éditeur et gentil compositeur Diabelli, compose, sur une petite valse de ce dernier, 33 variations dans lesquelles il démontre l’étendue de son génie. Les «Variations Diabelli» restent un morceau de bravoure que les plus grands interprètes ont inscrit à leur répertoire.
Dans le domaine pictural, Claude Monet s’illustrera également par des séries de «variations sur un thème» : il tentera de transcrire les «impressions» différentes que la cathédrale de Rouen offre à son œil de peintre suivant le moment de la journée ou les caprices de la météo. Plusieurs artistes du vingtième siècle pousseront très loin ce travail d’exploration, par exemple en se photographiant à intervalles réguliers durant des décennies pour inscrire sur la pellicule le lent travail du vieillissement, ou en peignant opiniâtrement toujours le même tableau – chiffres blanc cassé sur fond blanc – variant imperceptiblement les teintes, chaque fois un rien plus sombres, pour arriver au noir.
Si le principe des variations sur un thème représente un des fondements de la musique, s’il s'est progressivement imposé aux arts graphiques, il a également fait l'objet d'intéressantes applications en littérature. Raymond Queneau, dans les «Exercices de style», narre près de 100 fois la même anecdote presque vide en jouant sur les niveaux de langue, les points de vue narratifs, les techniques de la poésie. Dans ce petit volume, Georges Perec se livre à un exercice de littérature potentielle qui rappelle les «Variations Diabelli» : à partir d’une phrase célébrissime fournie par Marcel Proust («Longtemps, je me suis couché de bonne heure.»), Perec crée 35 variantes dont chacune comporte l’une ou l'autre contrainte oulipienne. Exemples : Antonyme : «Une fois, l'autre fit la grasse matinée.» Lipogramme en e (suppression de la lettre e) : «Durant un long laps, l’on m'alita tôt.» Anagramme : «Hé, Jules, ce môme chenu de Proust songe bien !»
35 variations, cela veut dire 35 phrases. C’est peu pour faire un livre. On trouvera donc dans cette plaquette, en prime, des exercices analogues réalisés dans d’autres langues : Harry Mathews sur un thème de Shakespeare, Oskar Pastior sur Goethe, Brunella Erulli d’après Carducci et Guillermo Lopez Gallego sur une phrase de Leopoldo Alas «Clarín». Nouvelle démonstration du talent de Georges Perec, ces 35 variations furent rédigées en 1974 pour prendre place dans un numéro du «Magazine littéraire» consacré à Raymond Queneau. Cette réédition est intéressante à plus d’un titre, et notamment, par son «quintilinguisme»,
comme un témoignage de l'esprit européen.
Très beau livre. 9 étoiles

J´ai adoré ce livre!

Labordealain - - 69 ans - 25 avril 2006