Napoléon Bourassa et la vie culturelle à Montréal au XIXe siècle
de Anne-Elizabeth Vallée

critiqué par Gilles1949, le 11 juin 2011
( - 74 ans)


La note:  étoiles
Une oeuvre enrichissante
J'aime me trouver intelligent. Je n'oserai pas affirmer que je le suis, des personnes qui me connaissent bien pourraient passer par ici... Mais j'aime me sentir comme si. Il m'arrive donc, régulièrement, de faire des activités qui me le permettent. Je suis donc allé au Musée national des beaux-arts du Québec, visiter l'exposition Napoléon Bourassa – La quête de l'idéal (exposition qui se termine le 15 janvier 2012). Et, afin de bien m'y préparer (ou pour y avoir l'air intelligent, c'est selon), je me suis procuré et j'ai lu le livre Napoléon Bourassa et la vie culturelle à Montréal au XIXe siècle.

D'entrée de jeu, je l'avoue, je ne connaissais pas le personnage. La lecture de ce livre a donc été une découverte aussi agréable qu'intéressante. Il est peu volumineux (environ 250 pages) et l'écriture est simple, précise, fluide et agréable. Dès que je l'ai tenu dans mes mains pour la première fois, j'ai su déjà qu'il me plairait et je ne me suis pas trompé; la première impression, très favorable, l'est demeurée jusqu'à la fin.

Voici un court extrait du 4e de couverture : "Peintre, sculpteur, architecte, musicien, romancier, critique d'art, enseignant et théoricien de l'art, Napoléon Bourassa (1827-1916) a oeuvré durant sa carrière dans tous les domaines de la culture. Moins connu que son fils, Henri, et que son beau-père, Louis-Joseph Papineau, Napoléon Bourassa joue pourtant un rôle de premier plan dans la vie culturelle montréalaise de la seconde moitié du XIXe siècle. […] La décoration murale de la chapelle de l'institut Nazareth et celle de la chapelle Notre-Dame de Lourdes à Montréal, dont il est aussi l'architecte, figurent parmi ses œuvres les plus importantes."

L'auteure, Anne-Élizabeth Vallée, est docteure en histoire de l'art et a soutenu une thèse sur la pensée et l'oeuvre de Napoléon Bourassa.

L'introduction (environ 8 pages) constitue un bref résumé de sa vie. Y sont résumés les principaux événements (heureux et malheureux) qui lui sont arrivés ou qu'il a initiés. Après ces quelques pages, le personnage est évidemment mieux connu et devient, de chapitre en chapitre, très attachant. On regrette presque de ne pas avoir eu la chance de le côtoyer et de bénéficier de sa personnalité et de ses conférences. Ensuite, toujours dans l'introduction, une brève explication prépare ce qui va suivre.

Le chapitre un traite des débuts de Bourassa dans la vie culturelle de Montréal. Le deux, de ses premières activités professionnelles dans le domaine artistique. Le trois, du développement de l'enseignement des arts à Montréal. Le 4, de l'art dans la presse francophone et de la bibliothèque de Bourassa. Le 5, des grand projets de décoration murale dans la dernière partie de sa vie.

Évidemment, il n'y a aucune surprise de découvrir le rôle important que jouait les organisations religieuses en ces années. En voici deux exemples. Page 20 : "En 1858, Mgr Bourget dénonce l'immoralité des discours prononcés à l'Institut canadien et des livres disponibles à la bibliothèque, et menace ses membres d'excommunication." Page 23; "L'essai biographique est également fort apprécié des membres de l'Institut […] Au Cabinet de lecture paroissial, l'histoire est souvent revisitée sous un éclairage chrétien […]."

Et Bourassa dans tout cela? Page 150 : "[Il] situe l'origine de l'art en Dieu, qui fournit à l'artiste son imagination et ses autres facultés indispensables.Il explique que l'art a pour objectif de tendre vers le beau. Pour lui, puisque le beau constitue en fait une manifestation de Dieu, au même titre que le bien et le vrai, cette quête du beau constitue en fait en une recherche de Dieu."

Voici maintenant un extrait d'un récit écrit et raconté par Bourassa – Description de Naples et de ses environs – qui permet d'apprécier ses qualités d'écrivain : "On reste longtemps enfermé dans ce labyrinthe de vieilleries échafaudées les unes sur les autres, avant d'arriver au cloître; mais quand on est parvenu enfin à cette hauteur, tout-à-coup la vue s'échappe. C'est ici seulement qu'elle peut bien s'envoler et planer librement dans l'immensité d'un horizon sans borne […]. L'âme étreinte alors jusque dans l'oeuvre misérable de l'homme, veut suivre l'oeil; elle s'émeut, elle grandit, et semble s'élancer, avec vos soupirs, dans cette œuvre magnifique de Dieu. Combien la beauté, surtout quand elle a quelque chose de vague et de grand comme l'infini, saisit l'âme! Et combien l'âme a besoin de l'infini!."

D'ailleurs, de juillet 1865 à août 1866, il fait paraître, en plusieurs tranches, dans la Revue Canadienne, son roman historique Jacques et Marie. Souvenir d'un peuple dispersé. L'oeuvre, qui ressemble à l'Évangéline de Longfellow, publiée en 1847, est bien reçue sans être considérée comme un chef-d'oeuvre. Si vous préférez la juger vous-même, vous pouvez la lire ici.

Au début, sa carrière d'artiste démarre très lentement. Il ne parvient que difficilement à subvenir aux besoins de sa famille. Il est amer et affirme que : "Il nous naîtrait aujourd'hui cent Michel Ange que nous en aurions quatre-vingt-dix-neuf de trop, et le centième crèverait de faim […]".

Bourassa a été, aussi, critique d'art, et un critique sévère. Voici ce qu'il écrivait sur les artistes qui peignaient des portraits : "Lorsqu'ils auront reproduit tout ce qui peut tomber sous les sens, quand tous les individus de quatre ou cinq générations auront fait recopier à l'infini leur portrait pris de face, de trois-quart et de profil, à toutes les époques inintéressantes de leur carrière, depuis le maillot jusqu'à la dernière grimace que la mort nous fait jeter à la vie; alors l'oeuvre intelligente reprendra sans doute tout son mérite aux yeux de la foule". Il a, aussi, critiqué plusieurs réalisations architecturales; cependant, peut-être, parfois, l'a-il fait par dépit, critiquant des travaux dont il aurait voulu être le responsable.

Dans le même esprit, voici un extrait d'une lettre du 11 septembre 1861, au peintre Théophile Hamel : "Je ne tiens pas aux petits genres, ils ne me conviennent pas, j'y réussirais mal; je pense que c'est faire une vie inutile que de s'y livrer. Et, faire des tableaux d'Église ou d'histoire pour des marchands de moutarde ou d'estimables curés qui n'entendent rien en peinture c'est peu excitant!"

Une anecdote : un jour, Bourassa donne un conseil d'ami à l'architecte Victor Bourgeau; il lui recommande de ne plus se laisser influencer, à l'avenir, par des personnes qu'il nomme "les compétences". Je n'ai pu m'empêcher de penser, en souriant, au maire Labeaume dénonçant les "grands talents".

Au début de sa carrière, Bourassa est omniprésent dans la sphère culturelle montréalaise. Il est déterminé à collaborer à la mise en place d'un environnement propice à la création artistique. Il peint mais sa production, restreinte, n'a que peu d'impact. Il se fait cependant remarquer par ses critiques d'art et son enseignement. D'ailleurs, toute sa vie il collaborera à plusieurs projets de déploiement de l'enseignement des arts industriels et des beaux-arts à Montréal. Il est très érudit et il aime partager ses connaissances lors de conférences ou en publiant des essais. Finalement il sera l'auteur de quelques grands projets décoratifs et il jouera un rôle clé dans la promotion de la peinture murale au XIXe siècle.

En conclusion, ce mari, père de cinq enfants et homme important dans la sphère culturelle de Montréal au XIXe siècle, a-t-il eu une belle vie? Est-il décédé comblé et satisfait? Je vous laisse juger. Durant l'hiver de 1869, l'état de santé de sa femme qui vient d'accoucher de son cinquième enfant se détériore et elle décède prématurément le 27 mars, à l'âge de 34 ans. En 1904, le décès accidentel de son fils Gustave l'affecte durement. De retour à Montréal il entreprend de mettre de l'ordre dans son fonds d'atelier et cette tâche l'amène à réfléchir à l'ensemble de sa carrière; il est alors assailli par les doutes et un certain sentiment d'échec. En 1911 il essaie de vendre son œuvre monumentale, Apothéose de Christophe Colomb, au gouvernement fédéral qui décline l'offre. Pour l'artiste, âgé de 85 ans, cette autre déception sera la dernière et mettra un terme à sa carrière.

J'ai vraiment beaucoup aimé ce livre. La lecture en a été fort agréable. J'ai surtout beaucoup appris sur Napoléon Bourassa, sa vie et le rôle important qu'il a joué. Je l'ai refermé avec un partage d'admiration pour l'individu et d'émotion pour les difficultés qui ont jalonné sa vie. Et, aujourd'hui, je me sens un peu plus intelligent.

Napoléon Bourassa et la vie culturelle à Montréal au XIXe siècle
Anne-Élisabeth Vallée
Éditions Leméac.

Sincères remerciements à madame Aurélie Dudoué.