Les Eaux amères
de Armel Job

critiqué par Pascale Ew., le 12 mai 2011
( - 56 ans)


La note:  étoiles
Lorsque le doute fait rage
Du Armel Job pur jus.
L’histoire se passe de nouveau dans un petit village belge où tout le monde se connaît, s’observe et où tout se sait très vite. En 1968, les petits commerces de proximité sont encore très vivants. Bram Steinberg est quincailler et sa femme Esther fait son admiration ainsi que des envieux autour de lui. Un jour, Bram reçoit une lettre anonyme qui semble dénoncer une infidélité de la part d’Esther. Le monde de Bram s’écroule, lui qui n’avait jamais eu le moindre soupçon ni doute. Comment va-t-il réagir ? C’est là que la jalousie s’installe et fait des ravages… C’est là que les vieilles blessures du passé refont surface.
La communication dans ce couple était déjà restreinte ; elle se fait silence et secrets. Bram revisite son passé d’enfant juif caché, dont la famille a été déportée et tuée et qui s’est senti abandonné. Il soupçonne tout le monde et devient ombrageux ; il ne parle à personne, mais finit par s’adresser à un rabbin, lui qui n’est pas très religieux. Ce dernier lui recommande une potion amère à faire avaler par sa femme. Si elle en tombe malade, cela voudra dire qu’elle est coupable. Dans le cas contraire, elle sera lavée de tout soupçon...
Les relations entre les personnages sont toujours très bien décrites. Armel Job jongle avec les non-dits, les secrets et les rumeurs pour disséquer la nature humaine. Je déplore toutefois qu’il ne puisse pas de temps en temps écrire dans un autre genre ou style.
Un régal 9 étoiles

Bram et Esther forment un couple heureux. Ils tiennent une quincaillerie dans un village du fond de la Belgique, Mormédy, pas très loin de la frontière allemande.
Un jour Bram reçoit une lettre anonyme soupçonnant l'infidélité de sa fort jolie épouse.
Bram est d'origine hébraïque, enfant il a vu ses parents emmenés par les soldats allemands pour un voyage dont on revenait rarement. Aussi, bouleversé par cette lettre il décide d'aller consulter un Rabbin à Anvers. C'est bien connu, ces gens là ont réponse à tout.
Voilà donc que l'homme garant de la Judaïté lui apprend l'existence d'un livre des Nombres dans la sainte Torah dans lequel celui dont on déchiffre seulement le saint nom YHWH sans jamais le prononcer, avait consacré son précieux temps à mettre au point un sérum de vérité à l'usage des maris inquiets. Cette potion, à faire ingurgiter à la femme infidèle donne la réponse aux questions. Il se nomme... les eaux amères !

Une fois encore Job nous régale d'une histoire merveilleuse et joliment écrite. Le grand avantage de l'auteur c'est sa fécondité, tant qu'à bien lire autant le faire beaucoup. Certes cela s'apparente à de la gourmandise, mais à force de trouver des publications médiocres il est rassurant d'avoir une valeur sûre où l'on peut puiser jusqu'à plus faim.
Un régal

Monocle - tournai - 64 ans - 30 avril 2019


Encore une petite merveille ! 8 étoiles

Abraham Steinberg, surnommé Bram, et son épouse Esther ont repris, il y a quelques années déjà, la Quincaillerie Générale à Mormédy, une petite ville de province quelque part en Wallonie. Nous sommes en 1968. Le couple est aidé dans leur commerce par Willy, un brave jeune homme dévoué et honnête. Ils ont deux enfants qui vivent leur vie en ville. L’affaire est florissante et tout baigne. Jusqu’au jour où Bram reçoit un billet où sont inscrits ces mots :
« Abraham
Ta femme te file entre les doigts !
Tu as des yeux et tu ne le vois pas.
L’unique qui ait pitié de toi. »
Qui donc est l’auteur de cette sentence qui maintenant perturbe la vie de notre homme ?
Bram est un rescapé des rafles de Juifs pendant la guerre. Il a été sauvé par des cathos mais ses parents et sa sœur Simone ne sont pas revenus des camps. Bien que non pratiquant, Bram va aller chercher conseil auprès d’un rabbin ; ce dernier lui concoctera un élixir …

Outre cette intrigue qui nous tient en haleine tout au long du roman, Armel Job nous conte la vie quotidienne des habitants de Mormédy, ce qui ne manque pas de charme.
Armel Job est un écrivain habile ; tel un magicien, il fait tourner des choses, les événements, les gens autour de son index et nous livre à chaque coup ce que l’on appelle : une petite merveille.

Extraits :

* ( à propos du chiffre « 5 »)
Il lui trouva un air sympathique avec son gros ventre tourné vers la droite, vers l’avenir, au contraire des quatre premiers chiffres qui ont tous le bec stupidement vissé vers la gauche.

* ( qualificatif à propos d’une note à payer, par exemple dans un restaurant)
« L’expectorant pour portefeuille »

* ( de la bouche d’un médecin )
« Enfin un malade ! Le beau temps, c’est la ruine de la médecine ! »

* - « Je ne savais pas que vous étiez catholique », s’étonna un client bouffeur de curé.
- Moi, catholique ? Non, non, je ne suis pas catholique. Je suis juif.
- Ah ? Et vous mettez votre fille chez les calotins ?
- Et oui, que voulez-vous ! Le Seigneur Dieu d’Israël lui-même n’a eu qu’un fils et il est passé chez les catholiques.

* Ce n’est pas vrai que les femmes cherchent un homme bon. La bonté les ennuie. Elle leur semble fade. Les femmes veulent du piquant.

* - Est-ce que tu crois que Dieu …enfin … que Dieu peut changer les choses ?
- Non, pas vraiment, Bram.
- Tu penses que Dieu n’existe pas ?
- Ce que nous pensons, tu sais … C’est tellement … dérisoire. Il me semble, moi, que Dieu est tout petit. C’est pour cela qu’on ne le voit pas. Il se cache.
- Il se cache ? Pourquoi ?
- Pour ne pas nous faire peur, peut-être. (…) Il n’a pas de bras, pas de jambes, même pas de voix pour se défendre des mensonges qu’on raconte sur son compte. Mais je pense qu’il est là, si on veut. Il se sert des choses qui nous arrivent. Mais il ne veut pas s’imposer. Elles ont toujours une autre explication. On n’a pas vraiment besoin de lui.
- Mais qu’est-ce qu’il veut à la fin ?
- Ah, Braun, qu’est-ce qu’on sait ? Il veut vivre peut-être tout simplement. Si personne ne s’occupe de lui, alors il n’existerait plus. Personne n’existe tout seul, Bram. Même pas Dieu.

Catinus - Liège - 72 ans - 20 mars 2019


Des sauveurs douces pour ces eaux amères 9 étoiles

Il faut lire plusieurs pages avant de découvrir la formule des « eaux amères », mais, dès les premiers chapitres, le lecteur se fait une idée des eaux amères, les tracas de la vie quotidienne avec ses doutes, ses exaltations, ses passions, ses désillusions…
Armel Job constitue une valeur sûre parmi les romanciers belges. En 2002, il obtient le Prix Rossel des Jeunes avec Helena Vannek, il récidive en 2005 et cette année avec, respectivement, le Prix du Jury Giono (Les fausses innocences) et le Prix des Lycéens de la Communauté française (Tu ne jugeras point). Sa vie professionnelle l’a amené à enseigner les langues anciennes et diriger une école secondaire à Bastogne.
L’action se passe au début du mois d’août 1968 à Mormédy, un gros village en Wallonie, non loin de la frontière allemande (à confondre évidemment avec Malmédy). Abraham Steinberg, Juif miraculeusement sauvé d’une rafle nazie, se souvient de ces heures particulièrement tragiques. Mais il se sent coupable d’avoir échappé à une mort annoncée. Mais il peut être fier de sa réussite, tant dans sa vie professionnelle qu’amoureuse, quoique… Une lettre anonyme déstabilise notre quincailler Abraham. Il se met à douter de la fidélité de sa femme. Que faire ? Qui soupçonner ? Le petit monde de ses fidèles amis commerçants ? Mais tout ceci n’est-il qu’un énorme malentendu ?
Sourire aux lèvres, le lecteur ne lâche plus la lecture de ce roman qui fait (re)découvrir les charmes de la vie du temps jadis dans cette petite ville de Wallonie. Beaucoup d’humour en effet et de douce nostalgie pour ces mœurs d’alors saupoudrées de poussières de pilules contraceptives.

Ddh - Mouscron - 82 ans - 14 septembre 2011