Des cendres en héritage : L'histoire de la CIA de Tim Weiner

Des cendres en héritage : L'histoire de la CIA de Tim Weiner
(Legacy of ashes : the history of the CIA)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire

Critiqué par Numanuma, le 25 avril 2011 (Tours, Inscrit le 21 mars 2005, 50 ans)
La note : 10 étoiles
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Si c'est clandestin, c'est légal...

Oubliez Les Experts New York, Las Vegas, ou Juvisy, oubliez Alias ou Dexter, Starksy et Hutch, oubliez Navarro et Joséphine Ange Gardien, pas la peine de se creuser la tête à écrire des scenarii plein de rebondissements, tout est là dans ce fabuleux bouquin de Tim Weiner : Des cendres en héritage, l’histoire de la CIA.
Faisons simple : les USA n’ont pas réussi à prévoir Pearl Harbor pour cause d’absence d’une agence de renseignements unique, centralisée et efficace. Les USA n’ont pas réussi à prévoir le 11 septembre à cause d’une agence de renseignements unique, centralisée et inefficace…
La CIA a été créée par le président Truman mais il lui destinait un rôle de renseignement, d’analyse, pas d’espionnage, pas d’opérations spéciales. C’est pourtant ce que l’agence est devenue. En effet, pour le général Donovan, excellent soldat, héroïque en France pendant la première guerre mondiale, « le renseignement doit être global et totalitaire ». Tout le contraire de ce que voulait Truman…
Fondée sur les restes de l’OSS, la CIA a eu une naissance difficile, les chefs militaires voyant d’un mauvais œil un organisme qui serait lié directement au Président et non au Pentagone et à ses généraux. Cependant, civils comme militaires redoutaient une expansion du communisme semblable à celle du nazisme. Malgré cet ennemi commun, les américains n’arrivèrent pas à adopter une conduite uniforme et les deux premiers directeurs de la CIA avaient des convictions tout à fait opposées : « l’espionnage cherche à connaître le monde », vision de Richard Helms, lieutenant l’Allen Dulles, le plus haut gradé de l’OSS et « l’action clandestine s’efforce de changer le monde », avis de Franck Wisner, avocat d’affaires, chef de l’OSS en Roumanie persuadé de faire jeu égal avec les Russes en matière d’espionnage. Les deux hommes en vinrent à une trêve vitale pour la survie de l’agence.
Mais l’homme à qui l’agence doit sa substance, c’est Georges Kennan, chargé d’affaires de l’ambassadeur des USA à Moscou. Il acquit une sorte de réputation de kremlinologue et devint conseiller sur les affaires russes. C’est Kennan, pourtant obscur diplomate, qui lance les « trois forces qui allaient dominer le monde : la doctrine Truman, avertissement lancé à Moscou de cesser de mettre sur son orbite des pays étrangers les uns après les autres ; le Plan Marshall, bastion destiné à renforcer l’influence américaine en face du communisme ; et le service des actions clandestines de la Central Intelligence Agency ».
En pratique, cela revenait à dire que toute attaque contre un pays allié des USA est une attaque contre les USA… Le Plan Marshall permettait de dissimuler cette lutte de pouvoir derrière des milliards de dollars dépensés pour reconstruire les pays ravagés par la guerre. Suivant un modèle américain.
La CIA est née officiellement le 18 septembre 1947. Son statut est flou et son activité n’est possible que grâce à un codicille secret ajouté dans le texte du Plan Marshall permettant à l’agence de détourner des millions de dollars du Plan ne figurant sur aucun bilan ! En 1949, l’agence n’a pas de mandat l’autorisant à mener des actions clandestines contre aucune nation, elle n’a pas de statut ni de fonds légaux. Depuis le début, la CIA agit en toute clandestinité au sein de son propre pays… !
Franck Wisner en prend la direction le 1ER septembre 1948 avec pour objectif de ramener la Russie à ses anciennes frontières et libérer l’Europe de l’influence communiste et ce en utilisant, au besoin, les fascistes que les USA combattirent aux côtés de Russes… Le problème est que les USA ne pouvaient faire jeu égal en matière d’espionnage avec aucun pays d’Europe vieux de plusieurs siècles d’expérience dans le domaine. La majeure partie des actions menées par les américains consistaient à parachuter des agents derrière des frontières afin de fonder des groupes de résistance ou à approcher des groupes déjà existants. Jusque dans les années 60, ces opérations suicides qui ne disaient pas leur nom vont se poursuivre sans résultats notables. Comme le résume très bien l’auteur, présenter un échec comme une réussite devint un mode de fonctionnement au sein de l’agence et l’absence de capacité à tirer leçon de ses nombreuses erreurs devint une sorte de marque de fabrique.
Par contre, l’initiative devenue depuis Radio Free Europe, conçue dans le cadre d’un programme de soutien à la résistance intellectuelle eut un réel impact et devint un outil redoutable de guerre politique. Pour l’anecdote, Cecil B. DeMille faisait partie du conseil d’administration de la radio.
Il faut bien comprendre que dans l’esprit des dirigeants de l’agence, c’est une guerre qu’il fallait préparer, une guerre inévitable ; pour eux, c’était la seule possibilité vu qu’ils étaient dans l’incapacité de rien savoir de ce qui se passait en Union Soviétique. De fait, les missions conçues pour saboter le fondement de l’Union soviétique ne faisaient que nuire aux opérations visant à l’espionner.
Nous sommes loin de la terrible efficacité des séries télé sauf sur un point : les méthodes spéciales de détention de d’interrogatoire. Il faut bien avouer que les américains ont fait preuve de beaucoup d’inventivité dans le domaine de la torture à base d’opiacés synthétiques de tout genre, de détention arbitraires et de morts suspectes dans leur chasse aux agents doubles et ce plus de 60 ans avant Guantanamo ! Et il fallait une dose d’humour ou de cynisme particulièrement élevée pour appeler ça Opération Artichaut…
Passionnant de bout en bout, plus couillu, choquant, intense que n’importe quel épisode de la série la plus trash que vous connaissez, cette enquête qui pourrait sûrement être mise à jour tous les ans, dresse un portrait peu flatteur de l’agent type de la CIA : incompétent, inculte et pas franchement courageux. Pour l’auteur, la chose est entendue, en plus d’être inutile, l’agence est dangereuse ! Dès le départ, la CIA a pris pour vraies les informations venues de ses bureaux européens alors que les services soviétiques les avaient noyautés depuis longtemps. Cette erreur fatale et typique se reproduira régulièrement. Des armes de destruction massive en Irak ? Les agents de la CIA sont majoritairement des gars de bureau qui ne connaissent rien au terrain et les rares qui ont l’étoffe ne sont que peu écoutés… Comme le résume assez bien le commandant Massoud après que le gouvernement US eut refusé sa proposition d’actions conjointes contre les hommes de Ben Laden : “Vous autres Américains ne changerez jamais.” »

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Les éditions

  • Des cendres en héritage [Texte imprimé], l'histoire de la CIA Tim Weiner [traduit de l'américain par Jean Rosenthal]
    de Weiner, Tim Rosenthal, Jean (Traducteur)
    Perrin / Collection Tempus
    ISBN : 9782262035105 ; 12,00 € ; 24/03/2011 ; 817 p. ; Poche
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