Eclairs de chaleur
de Olive Senior

critiqué par Germain, le 18 avril 2011
( - 72 ans)


La note:  étoiles
Eclairs de chaleur
J’ai déjà eu l’occasion de dire tout le bien que je pensais des livres d’Olive Senior, merveilleusement traduits par Christine Raguet ( Zigzag). Zigzags et autres nouvelles de la Jamaïque fut une révélation : d’emblée, on était saisi par l’époustouflante lucidité de textes formidablement humains, vrais et poétiques. Aujourd’hui, le tout récent Eclairs de chaleur ( Summer Lightning ), qui a valu à son auteur le Commonwealth Writers Prize, est de la même veine, pour notre plus grand plaisir.

S’agit-il d’un simple recueil de nouvelles ? J’y verrais plutôt un livre universel et truculent ouvert sur la vraie vie ; une réflexion belle et désabusée sur l’ingratitude des hommes, les préjugés de classe, la bêtise humaine. Un livre-legs où l’auteur règle ses comptes avec les préjugés de classe, l’éducation victorienne, les « managers » qui pourrissent la vie ( les ménagères aussi …), l’avidité des uns, l’aveuglement des autres... Des phrases belles où l’on rend hommage à la vulnérabilité des êtres ( Le Pays du Dieu borgne ). Des leçons de vie où l’on s’interroge sur le savoir-vivre ensemble et l’éducation : « Un enfant livré à lui-même conduit sa mère à la honte » ( Est-ce que les anges portent des soutiens-gorge ? ) La culture créole s’y révèle comme un écrin d’humour, de sagesse et de simplicité. Ainsi dans Vraies choses du temps longtemps : « La Doris-un-œil était si-tellement occupée à pondre des ti-manmailles année après année que tout ce qu’elle connaissait sur l’entretien d’une maison ça pouvait s’écrire sur un timbre-poste… » Oui, ce recueil de nouvelles d'Olive Senior est bien un concentré de talent : on y dit ce qui fait l'humanité des gens, leur manière de se lier les uns aux autres, leur noirceur, leur gaieté. Dans une langue puissante et réaliste, l’auteur laisse l'histoire de ses personnages entièrement ouverte. Car ce qui l'intéresse, c'est le grouillement d'humanité, le concentré de douceur et de dureté dans lequel chacun baigne, selon son lot, selon son coeur. Heureux le lecteur qui ne se sentira pas seulement emporté par la musique des paroles mais aussi hautement stimulé par la richesse émotionnelle de pages follement libres ! Car ces tranches de vie caraïbe multicolores, à la fois pleines de tristesse et d’amour célèbrent la grande fête imaginaire des mots. Beau et magique à la fois.
Les ti-enfants du Bondieu 8 étoiles

Une fois de plus j’ai succombé aux charmes de la littérature caribéenne qui toujours, et particulièrement dans ce recueil de dix savoureuses nouvelles, est gorgée de soleil, de couleurs, d’odeurs et de saveurs entêtantes qui envoûtent jusqu’à l’ivresse.

A travers ces textes dans lesquels, Olive Senior, fait vivre ces paysans, et surtout ces paysannes, des montagnes jamaïcaines, là où elle a passé toute son enfance et son adolescence, avec leur langage vernaculaire, limité et fruste, mais plein d’expressions imagées et d’images hautes en couleur qui savent si bien dire la misère, la frustration, la déception, mais aussi les sentiments, l’amour et la haine, la tendresse et la rancœur… Elle a particulièrement bien su transposer cette tradition orale dans l’écrit, par exemple, en répétant les mots autant de fois qu’il le faut pour leur donner la force nécessaire que celui qui raconte juge utile pour décrire ce qu’il pense. Oui bien, bien ! Et même bien, bien, bien !

Ces nouvelles, même si elles sont indépendantes, forment un tout cohérent, la vie des enfants dans les montagnes abandonnées par les parents qui sont partis pour essayer de gagner moins mal leur vie « sur l’autre bord », celui de l’exil. Et, toute cette « manmaille » se retrouve à la charge de grands-mères ou de tantes qui sont déjà débordées par tous les trésors d’énergie qu’elles doivent développer pour essayer de faire survivre leur famille dans ce coin perdu de Jamaïque. Des familles bien aléatoires, construites au gré des départs et des retours, des unions et des désunions et des éventuels débordements extérieurs, les enfants « d’en dehors », au sein desquelles les pauvres gamins sont plus ou moins livrés à eux-mêmes, souffre-douleur des adultes, quotités négligeables à qui on ne fournit jamais d’explications et qui ne comptent que comme bouches à nourrir.

Dans ce monde qui ne semble vraiment pas fait pour eux, ces enfants apprennent la vie à travers les aventures qu’ils rencontrent et celles des adultes qu’ils comprennent comme ils peuvent. Ils vivent tous ces avatars comme des rites initiatiques qui les conduiront, avec une fatalité désolante, à la médiocrité qui leur est promise. Il n’y a pas d’espoir pour ces pauvres gosses abandonnés par leurs géniteurs et élevés par des vieilles déjà écrasées par la vie. Mais la misère semble moins pénible au soleil… disait le poète.

Débézed - Besançon - 76 ans - 30 juillet 2011