La neige tombait sur les cèdres
de David Guterson

critiqué par Jlc, le 11 avril 2011
( - 80 ans)


La note:  étoiles
Les mystères des coeurs
Sur l’île de San Piedro qui, comme son nom ne le suggère pas, est située sur la côte Nord du Pacifique, au Nord-Ouest des Etats Unis, vit une communauté de pêcheurs et de fermiers qui cultivent des fraises. La population est diverse, immigrée d’Europe et du Japon depuis le début du vingtième siècle avec l’espoir d’y trouver une vie meilleure tout en cherchant à conserver ses traditions. Nous sommes à l’automne 1954. Un pêcheur d’origine allemande, Carl Heine, est retrouvé mort dans les filets de son bateau. Sa jeune veuve ne sait que murmurer « Je savais que cela arriverait un jour ». L’enquête est rapidement menée et certains éléments conduisent à inculper un autre pêcheur, d’origine japonaise, Kabuo Miyamoto. Le procès aura lieu en décembre et il sera suivi par un journaliste local, Ismaël Chambers.

Ce procès va être l’occasion de faire resurgir un passé qu’on a probablement voulu masquer artificiellement et trop vite. « La neige qui tombait sur les cèdres » est d’abord un roman sur la mémoire collective que le temps ne suffit pas à effacer. Certaines blessures, certaines trahisons sont encore trop vives. Dans un tel contexte, l’attitude de Kabuo, trop stricte, trop silencieuse, trop lointaine en fait un coupable désigné. Il est, pour les autres, Japonais avant d’être Américain. Pearl Harbour compte plus que le courage que ce jeune homme a montré en se battant en Europe dans le 442° régiment, formé exclusivement d’Américains d’origine japonaise dont les famille ont été regroupées dans des camps et qui a été, en 1945, le régiment le plus décoré de toute l’armée américaine. Mais pour la mère de Carl ceci compte moins que la querelle financière qui oppose leurs deux familles.

Et puis il y a Ismaël, ancien combattant lui aussi, qui a perdu un bras pendant l’attaque de l’atoll de Tarawa en novembre 1943. Il n’a jamais oublié son amour pour Hatsue, maintenant épouse de Kabuo, qu’il retrouvait en secret sous leur cèdre lorsqu’ils étaient enfants puis au temps des premiers émois. Hatsue dont la beauté adolescente et fragile est devenue celle d’une femme mûrie par l’internement durant trois années dans le camp de Manzanar où furent parqués cent dix mille Américains d’origine japonaise. C’est le temps de la suspicion et ce procès montre que ce temps n’est pas fini.

Les audiences se déroulent pendant une tempête de neige dont la symbolique n’échappe pas au lecteur qui découvrira par de longs retours en arrière l'histoire d’un amour impossible, une réflexion sur le racisme, une évocation des valeurs traditionnelles de l’Amérique, un récit parfois presque documentaire tant il est précis et réaliste, des personnages bien typés, des décors dessinés avec une certaine poésie nostalgique, le tout composant, avec les mystères des cœurs et malgré une fin un peu compliquée, un bon roman.

Il a reçu le prix PEN Faulkner qui a récompensé au cours des vingt dernières années des romanciers aussi importants que Don DeLillo, Richard Ford, Philip Roth (3 fois), Michaël Cunningham et John Updike. Il s’est vendu à plus de quatre millions d’exemplaires.

Un bon moment de lecture.