Je ne suis pas d'ici
de Hugo Hamilton

critiqué par CHALOT, le 7 avril 2011
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
un portrait émouvant et une histoire humaine
Le pire n'est pas inscrit dans le marbre

C'est un roman avec intrigue qui nous entraîne dans le sillage d'un jeune Serbe de Belgrade qui arrive, mu du rêve irlandais ou plutôt de l'envie de se reconstruire loin de ce pays ravagé par la guerre civile.
Le lecteur fait connaissance de la vie difficile, de solitaire, de déraciné de celui qui cherche à s'intégrer et à devenir un parmi d'autres, reconnu, accepté, voire aimé...
Il est un peu naïf, plein de bonté ce Vid Cosic et sa liaison amicale avec un avocat est loin d'un fleuve tranquille.
Il est socialement et personnellement utile comme charpentier talentueux et comme ami fidèle mais il reste quelqu'un de là-bas et pas d'ici.
Toutes les déconvenues ne viennent pas inéluctablement de l'autre, de celui qui puise ses racines à Dublin:
« Quand vous venez d'ailleurs, vous développez tous ces préjugés selon lesquels les gens de ce pays seraient supérieurs, plus drôles, plus doués avec la langue et les plaisanteries »....

Quand l'idée « négative » de soi rencontre le regard de rejet de celui qui est enraciné dans le pays « d'accueil », rien n'est possible... Le pire peut arriver à moins que la volonté et la recherche de la reconnaissance permettent de sortir de la spirale infernale de l'exclusion.
Vid Cosic va essayer de se « faire adopter » par ce peuple... La marche est longue d'autant plus qu'il se se trouve plongé dans un secret de famille et un schisme familial qu'il ne comprend pas.
Mais rien n'est inscrit dans le marbre et il arrive parfois que la volonté et l'esprit solidaire abattent les murailles de l'incompréhension.

Ce livre traduit de l'anglais (Irlande) avec soin par Bruno Boudard renoue avec les descriptions minutieuses et vivantes de lieux.
Il nous donne même l'envie d'aller voir ce pays , hier d'émigration, aujourd'hui d'immigration qui entre dans la modernité après avoir connu l'obscurantisme religieux et « culturel ».

Jean-François Chalot
Irlande, terre d‘exil et terre d’asile 7 étoiles

Au début, c’est un thriller psychologique . Un personnage vulnérable, Vid, immigré serbe, est vampirisé par Kévin, un brillant Irlandais louche et manipulateur, qu’il est amené à remplacer dans le box des accusés, endossant pour lui le délit d’agression aggravée.

Au thriller, se mêle ensuite le roman d’apprentissage . Le chapitre final permet de mesurer les progrès de Vid à s’intégrer dans la société irlandaise. Le lecteur a suivi son parcours initiatique l’amenant à prendre progressivement la mesure de ce pays, à comprendre ses habitudes, ses codes sociaux, à en maîtriser la langue. Aux dernières pages, grâce notamment aux relations, souvent chaotiques avec les différents membres de la famille Cancannon qu’il s’est efforcé d’aider, il se considère comme assimilé : « «J’entrai enfin dans l’histoire de ce pays . Je devins un participant, un protagoniste, quelqu’un qui agissait de l’intérieur »

JE NE SUIS PAS D’ICI est en même temps aussi un roman sur l’Irlande. D’abord terre d’émigration puis terre d’immigration, terre de ceux qui en sont partis pour tenter fortune aux Etats Unis comme l’ont fait le père de Kevin et ses frères, puis de ceux qui y ont trouvé asile. Hugo Hamilton, comme dans ses autres romans, sait traduire la beauté sauvage de ses îles, la rudesse de la vie et la rigueur de sa morale. Il signale dans sa postface que le roman lui a été inspiré par une chanson traditionnelle, qui lui a offert l’un des axes du roman : l’enquête sur la jeune fille qu’une mise au pilori publique a entraînée au suicide.

C’est toutefois, pour moi, ce caractère sociologique du roman qui a entraîné Hamilton à fréquemment étoffer (ou alourdir) son récit par de longs passages où, sortant de l’intrigue présente, il évoque le passé. Par ex, il reconstitue à plusieurs reprises des scènes d’immigration depuis l’atmosphère de la foule au départ de l’embarcadère de Carlisle jusqu’aux détails de la vie lors de la traversée. Ailleurs, il imagine ce que purent être les réactions des paroissiens de l’ile du Connemara quand ils ont retrouvé le corps de la noyée, ailleurs encore, il retrace l’historique du Teddy’s , le célèbre marchand de glaces. Ces passages, souvent basées sur des tournures anaphoriques sans effet poétique, me sont apparus comme des excroissances, des sortes de prothèses artificielles qui ont quelque peu gâté ma lecture .

Sur un scénario de film noir, un roman sur la « celtitude » irlandaise, thème qui parcourt toute l’œuvre de Hugo Hamilton.

Alma - - - ans - 3 novembre 2011