Espèces
de Ying Chen

critiqué par Tmichel, le 6 avril 2011
( - - ans)


La note:  étoiles
"La réalité de l'autre".
Ma nouvelle naissance semble combler tout le monde, et maintenant vivre m'est bien plus facile qu'avant. J'aurais dû franchir ce pas il y a longtemps, j'aurais dû partir de chez A. avant que les choses ne se dégradent.


Roman d'analyse, Espèces (Seuil, 2010) est le long monologue, jamais ennuyeux, d'une femme que sa vie conjugale avec A. a poussée à se laisser glisser dans un être autre, une peau neuve. Elle est devenue chatte. Elle peut ainsi prendre le recul nécessaire pour réfléchir. Réfléchir à cette union ratée. A ce mari égoïstement replié dans sa passion et avide de reconnaissance, à cet enfant qu'ils n'ont pas su retenir auprès d'eux ou pas su voir, ou pas su faire exister. Réfléchir à sa nouvelle condition de chatte, parmi cette espèce d'animaux qui jouit d'un tel succès auprès des humains que ceux-ci en font égoïstement leur chose, mieux qu'ils ne s'occupent de leurs propres enfants. Réfléchir, au passage, à cette espèce humaine qui mérite bien des coups de griffe! Cette voix ronronne si délicatement à nos oreilles de lecteurs qu'on passe volontiers sur quelques incohérences, elles ne sont pas rares. Il est vrai qu'incohérent est cet étrange personnage qui a changé de peau mais persiste à rester sensé malgré lui. On cherche, sous l'idée, l'allégorie. Sans doute est-elle dans cet éternel féminin où les hommes rejettent inconsciemment leurs compagnes, mais celle-ci est de bonne composition et cherche l'abnégation. Chatte, elle trouve tellement mieux sa place aux yeux de son mari que... le paradoxe final aura lieu, que je me garderai de dévoiler.
Un roman aux accents philosophiques, tant il peut être utile, nous dit cette plume, de "mieux saisir, à distance, la réalité de l'autre".