Les pianos de Lituanie
de Johannes Bobrowski

critiqué par Débézed, le 29 mars 2011
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
« Qui point ne croit n’a de salut… »
En 1936, les 23 et 24 juin, un chef d’orchestre et un professeur de musique qui veulent écrire un opéra sur la vie de Dinelaitis, prêtre lituanien, poète, constructeur de trois pianos, au XVIII° siècle, partent pour Tilsit, dans la région de Memel revendiquée par le Reich hitlérien, pour récolter des chants populaires lituaniens qu’ils pourraient utiliser pour leur opéra.

Ils arrivent dans cette ville, la veille de la Saint Jean, quand les deux communautés, allemande et lituanienne s’affairent, chacune de son côté, aux préparatifs de cette fête. Les ambitions des Hitlériens et des nationalistes lituaniens attisent vivement la tension ambiante et la violence monte rapidement.

Bobrowski, né lui-même à Tilsit a combattu dans l’armée du Reich, été prisonnier en URSS et a finalement rejoint Berlin Est où il est mort quelques semaines après avoir mis le point final à ce livre, en 1965. A travers ce court récit, il veut dénoncer les menées des nazis qui se cachent, de plus en plus mal, derrière des associations culturelles pour obtenir le rattachement de cette région, la fameuse bande de Memel, au Grand Reich. Mais aussi, le recours de certains nationalistes lituaniens qui cherchent une motivation à leur intégrisme dans l’histoire de la Grande Lituanie, aux XIV ° et XV° siècles, quand les Jagellon régnaient sur un vaste territoire ente Baltique et Mer Noire.

Avec Dinelaitis qui a construit trois pianos comme les trois communautés qui s’affrontent dans cette région, L’auteur essaie de transmettre un message de tolérance et de mesure pour chacune de ces communautés puisse vivre en harmonie et en paix. « … Ce qui me pousse : la vie, je ne sais si elle a valeur d’exemple, peut-être pas, vraisemblablement pas : la vie d’un prêtre de village, d’un village prussien d’expression lituanienne, un homme de culture allemande, qui se sert pour ses œuvres d’une langue qui, à l’époque, ne pouvait qu’en limiter la portée. »

Et, ceci dans un texte court, d’une écriture « d’une extrême rigueur » et même un peu « hermétique » où il mêle la narration des faits ambiants, la construction de l’opéra, la légende, l’histoire des peuples en présence, l’argument de l’opéra, des descriptions, des images, des réflexions, des sentiments concernant le contexte historique, les personnages rencontrés, les paysages, la ville, les villages, … On ne sait pas toujours très bien qui parle et le lecteur doit faire un réel effort de concentration pour démêler le fils de ce texte qui oscille entre prose et poésie, pour en savourer tout le suc.

Les phrases sont courtes, économisant souvent les verbes, les raccourcis savants, et les remarques, réflexions, anecdotes ne concernant pas forcément le sujet, s’invitent dans le texte comme les digressions fleurissent dans les propos d’un promeneur qui décrit ce qu’il voit, et pense, au fur et à mesure qu’il découvre un paysage et ses occupants, tout en dissertant sur un autre thème.

On pense inéluctablement à Rilke et à « Les histoires pragoises » qui raconte l’opposition ente les communautés allemandes et tchèques mais dans un style qui est certainement plus proche de celui d’Arno Schmidt. Et, toujours ce fond antisémite qui conduit là où désormais on sait très bien, même en passant par la plus innocente des comptines :

« Am stram gram pied de chèvre.
Dehors les Juifs, tous en enfer,
L’enfer s’écroule et tous sont morts,
Avec Moïse, facile à faire,
Un coup d’échelle et il est mort. »