Ursua de William Ospina

Ursua de William Ospina
(Ursúa)

Catégorie(s) : Littérature => Sud-américaine , Littérature => Romans historiques

Critiqué par Silex, le 13 mars 2011 (dole, Inscrit le 13 mars 2011, - ans)
La note : 7 étoiles
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Conquista

William Ospina, écrivain colombien né en 1954, est l'auteur d'"Ursua", livre qualifié lors de sa parution en Colombie en 2005 de "livre le plus important de l'année" par Gabriel Garcia Marquez. Le terme de livre et non de roman est important car, bien qu’il s'agisse d’une histoire romancée, tant sa forme que son fond le rapprochent plus d'une biographie ou d'un essai historique.

Ce livre conte les aventures d'un jeune Basque de 17 ans, Pedro de Ursua, qui, en 1543, décide de partir tenter sa chance dans le Nouveau Monde, sur les traces de Cortés et de Pizarro. Le contexte historique européen est celui de l'empire de Charles Quint, tentaculaire et enlisé dans des guerres aux quatre coins de son immense territoire. De jeunes nobles désargentés, tel Ursua, bercés par les récits des conquistadors et ne se trouvant pas d'avenir dans la vieille Europe, voient dans le Nouveau Monde la possibilité de s'enrichir, de briller aux yeux de l'empereur, et surtout de faire la guerre à peu de frais, car qui se préoccupait à cette époque du sort des Indiens d'Amérique?

Le narrateur est anonyme, mais il a côtoyé de près Ursua et fut même son ami et confident. Son statut est ambigu car il est issu des amours d'une Indienne et d'un conquistador, et il éprouve à la fois admiration et répulsion à l'égard du héros.

Quand Ursua débarque dans le Nouveau Monde, il découvre cette étrange région formée par ce qui est actuellement le Panama, la Colombie et le Pérou. La guerre et les violences sont omniprésentes, non seulement contre les Indiens mais aussi entre Espagnols. La soif de l'or, la quête de l'hypothétique Eldorado, entraperçu à travers les témoignages hallucinés des premiers conquérants ou extorqués sous la torture aux Indiens, ont débouché sur d'incessantes guerres intestines au cours desquelles les alliances se font et se défont, avec comme exutoire constant l'asservissement des indigènes. La tension monte d'un cran avec la promulgation des Lois Nouvelles donnant aux Indiens les droits et le minimum de dignité que leur part humaine, enfin reconnue bien qu'à demi-mot, leur permet d'espérer. Ursua, faisant fi de ces Lois Nouvelles, se lance à corps perdu dans sa quête de l'or, pensant obtenir d'autant plus d'autorisation de poursuivre loin ses recherches qu'il aura pacifié (c'est-à-dire massacré) les peuples indiens, et fondé des villes pour la gloire de son royaume.

Ce livre est étrange et provoque chez le lecteur une sensation inhabituelle entre horreur et fascination.
L'horreur est celle du premier véritable génocide orchestré par l'Occident : à titre d'exemple, 10 millions d'Incas ont été massacrés en 45 ans, des millions d'esclaves africains ont été importés pour travailler, en compagnie des Indiens, sous le joug de ces faux dieux en cuirasse et de leurs chiens mangeurs d'hommes. C'est alors avec un certain étonnement que l'on découvre que l'église de l'Inquisition de cette époque s'était émue du terrible sort réservé aux Indiens et que les Lois Nouvelles visant à les épargner un minimum était de son fait.
La fascination est liée à l'extrême beauté de la narration. Le style est volontairement un peu archaïque mais d'une poésie de tous les instants. Il permet au lecteur de pénétrer dans un monde hallucinant et halluciné faisant beaucoup penser au film de Werner Herzog "Aguirre ou la colère de Dieu". Aguirre est d'ailleurs présent dans ce livre et il sera la conclusion bestiale de la quête d'Ursua aux confins d'un ultime fleuve empli d'espérance d'or et de pouvoir.

Une fois de plus, il faut souligner la qualité de la traduction faite par Claude Bleton. Cependant, et sans minimiser en rien l'excellence du travail du traducteur, le fait que l'espagnol et le français soient proches par leur origine latine, permet certainement de conserver au maximum ce souffle épique et romantique si particulier à nos langues.
Ce livre est troublant : il est d'une précision historique absolue, il décrit l’une des périodes les plus sombres du colonialisme occidental et peut-être l’une des moins connues, et pourtant il agit, grâce à la beauté de sa langue, comme une véritable drogue apaisante, comme si l’une des ces flèches empoisonnées tirées par les Indiens sur les cuirasses des conquistadors nous avait anesthésiés, nous permettant de lire l'horreur, l'ignominie, la disparition de nombreuses civilisations, dans une sorte de confortable torpeur.
Ce livre est agréable, mais sa lecture n'est pas sans créer une sorte de malaise et l’on se demande si, finalement, la poésie n'est pas le seul rempart opposable à la barbarie. Il s'agit d'une chronique historique de plus sur la Conquista, mais d'une manière différente, dans laquelle la forme est plus importante que le fond, ou plutôt dans laquelle la forme permet de supporter le fond.
Pour conclure, espérons qu'un jour toutes les victimes de massacres et de génocides trouveront la plume d' un William Ospina pour maintenir en vie leur souvenir sous la plus belle forme qui soit: la poésie.

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Les éditions

  • Ursúa [Texte imprimé], roman William Ospina traduction de l'espagnol (Colombie) par Claude Bleton
    de Ospina, William Bleton, Claude (Traducteur)
    Points / Les Grands romans (Paris. 2006)
    ISBN : 9782757818718 ; 8,10 € ; 10/06/2010 ; 441 p. ; Poche
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