Blind Lake
de Robert Charles Wilson

critiqué par Neovir, le 1 mars 2011
(Lyon - 46 ans)


La note:  étoiles
Code Quantum
L’histoire de ce roman se déroule dans un futur proche.
Dans les complexes de Crossbank et Blind Lake, l’astronomie connaît une révolution totale depuis la création d’ordinateurs d’un genre nouveau utilisant la physique quantique. En effet, les mécanismes de fonctionnement de ces machines, encore largement mystérieux, permettent à présent d’observer les formes de vies peuplant les planètes habitables de l’univers en détails puisque les images générées à partir des faibles rayonnements lumineux reçus sur terre sont à présent aussi fines que celles obtenues par un observateur directement sur place.
Sur l’une de ces planètes sous surveillance, un extraterrestre à la forme évoquant plus ou moins un crustacé humanoïde est la proie de la curiosité humaine, scientifique comme profane (les uns l’appellent « le Sujet », tandis que les autres l’appellent « le Homard »).
Travail des plus ennuyeux s’il en est, car le comportement de la créature est fait de routines sans fin… jusqu’à ce qu’un jour celle-ci se décide à partir hors de son habitation sans raison apparente, dans une sorte de pèlerinage incompréhensible.
C’est à ce même moment que le site de Blind Lake est mis en quarantaine par l’armée, faisant vivre au personnel, ainsi qu’à une équipe de journalistes venus faire un sujet de routine sur le travail des chercheurs de l'observatoire, un long huis-clos que l'attente rendra de plus en plus angoissant au fil des jours.

En règle générale, c’est le genre de situation que j’apprécie. Ce roman ne fait pas exception. Dans cet univers replié sur lui-même, les personnages vont peu à peu se découvrir et tisser des liens nouveaux que j’ai pris plaisir à suivre. La tension et la peur montent chez les uns, les amenant au seuil de la folie et à la solitude, tandis que pour d’autres la chaleur humaine échangée pour se rassurer va créer de nouvelles unions.
Rien de bien extraordinaire ici. Il n’y a pas de personnages charismatiques, pas de méchant caricatural ou de vicieux traitres. Les « héros » sont banalement humains, et pourtant je les aime bien, perdus qu’ils sont, tentant désespérément de comprendre ce qui leur arrive, de la même manière qu’ils essaient de comprendre ces machines qu’ils ont créées, et qui semblent leur échapper de plus en plus. Eh oui, ici la technologie semble devenir indépendante, comme un enfant surdoué qu’on a du mal à contenir.
J’ai d’ailleurs trouvé intéressant que cette histoire se focalise tant sur les rapports humains, alors que les personnages sont entourés d’une technologie qui les dépasse de loin.
Après avoir lu Spin, j’ai bien compris qu’il s’agit de l’un des thèmes fétiches de Robert C.Wilson. Ce roman possède donc les mêmes qualités (ou les mêmes défauts, selon les goûts).

L’autre élément que j’ai le plus apprécié est le questionnement sur nos propres modes d’appréhension du réel en lien avec le travail froid et distant (mécanique ?) des scientifiques. L’épopée du Sujet amène une foule de questions qui ne peuvent avoir de réponses en gardant une attitude trop distante (référence au principe d’incertitude d’Heisenberg ? Peut-être, puisqu’on baigne dans la physique quantique).

Bref, Blind Lake fait partie des 3 meilleurs romans de cet auteur.
Ah, si les téléscopes pouvaient être magiques ! 8 étoiles

Imaginez un télescope faisant appel aux technologies les plus modernes de la physique des particules, ajoutez-y un peu de science-fiction et vous obtiendrez un objet capable de voir et d’enregistrer la vie sur une autre planète, comme si vous y étiez avec une caméra à l’épaule. Bien sûr, sur cette planète, vivent, marchent et pensent d’étranges bipèdes…

Placez ensuite une armada de scientifiques dans un centre afin qu’ils puissent étudier la planète en question, depuis l’exo-sociologue jusqu’à l’exo-géologue, en passant par l’exo-botaniste et tous les « exos » que vous pourriez imaginer. Bien sûr, très vite, les opinions vont différer sur les interprétations des images rapportées, pour des raisons simples : certains travaillent dans un contexte et une idéologie « humaine » et veulent faire des calques, d’autres essaient de travailler sans le moindre contexte et veulent tout redéfinir « from scratch » et d’autres enfin (des belges ou des suisses sans doute), estiment qu’un mixte des deux devrait être possible en fonction de certains critères inhérents à toute espèce « vivante et pensante », comme par exemple la nourriture et le sommeil.

Une fois les personnages mis en place, vous instaurez une quarantaine au centre parce qu’un drôle de truc s’est passé dans un autre centre similaire et que l’armée ne veut pas prendre de risque. Hop, le huis clos est installé, ce qui permet d’exacerber les tensions, les avis, les opinions, les oppositions, ce qui permet en fait d’agrandir les pics et les creux d’oscillation de notre nature, trop souvent étêtée et lissée par une socialisation poussée à outrance (mais ceci est un autre débat) et, comme de juste, c’est dans les excès que se trouvent les choses intéressantes !

Et enfin, vous ajoutez un fait étrange, à savoir que l’être observé agit comme s’il se savait observé ! Diantre ! Ben oui, le principe d’Heisenberg ayant été maintes et maintes fois prouvé, autant l’utiliser dans son acceptation la plus ultime.

Résultat : un livre riche et dense, avec énormément de science et une belle réflexion sur nous-mêmes et notre rapport à l’extérieur (étant entendu que tout ce qui n’est pas nous est extérieur), le tout dans un futur qui pourrait être un présent (un cadeau !?) en fait, si l’on accepte l’idée du télescope magique évidemment ! Quant à la conclusion, sans la révéler, je dirais qu’elle tombe sous le sens mais qu’elle est magnifiquement bien amenée et coïncide avec l’esprit qui anime l’entièreté du roman au fil des pages.

Pendragon - Liernu - 53 ans - 7 février 2012