Machine Soul - Une histoire de la techno
de Jon Savage

critiqué par Numanuma, le 27 février 2011
(Tours - 50 ans)


La note:  étoiles
Une nation, un beat, un groove
Décidément, on fait les choses bien aux éditions Allia. Un nouveau texte de référence vient enrichir une collection déjà bien étoffée : Machine Soul, un article, que dis-je, un manifeste, de John Savage paru durant l’été 1993 dans The Village Voice. On lui doit également un des bouquins de référence sur le punk : England’s Dreaming (que vous trouverez chez Allia également et que je lirai un jour).
Bon, va falloir ouvrir les yeux pour tomber dessus parce que livre ne compte que 58 pages dans un format pour le moins surprenant : tout petit, idéal pour glisser dans une poche.
Le contenu, par contre, c’est du concentré d’histoire ! Imaginez l’essentiel du mouvement techno, au sens large, résumé, exprimé, pensé en 58 pages ! C’est la porte d’entrée parfaite pour d’autres ouvrages, plus complets, comme Modulations, toujours chez Allia, chroniqué ici par mes soins ou les deux volumes du Chant de la machine, magnifiques BD chroniquées ici par moi de nouveau. Parfois, il faut savoir se la raconter un peu !
John Savage replace le mouvement techno dans son contexte historique, culturel et sociologique sans jamais être ennuyeux ni prétentieux. Mais là n’est pas le centre du texte. Il s’agit, comme le titre laisse à le penser, de mettre en avant l’âme qui anime cette musique électronique faite sans instruments traditionnels le plus souvent, cette musique du futur, comme on la considère souvent et qui, à son meilleur, ne ressemble en rien au boum boum décérébrant auquel on l’associe régulièrement et souvent à raison d’ailleurs.
Cela risque d’en surprendre beaucoup, moi le premier, mais la techno est héritière des câbles, ordinateurs, synthétiseurs de la musique psychédélique des années 70. Je sais, dit comme ça, c’est bizarre mais la techno et les grands-messes psychés du Grateful Dead, du Jefferson Airplane, de Hendrix et autres accros aux solos sans fins joyeusement fracassés contre un mur d’amplis Marshall, souvent en plein trip acides, il faut le dire, ont le même but : la transe.
Le terme transe doit être pris ici au sens strict et ne se rattache pas au sous-mouvement techno du même nom : songe, extase, sens qu’il possède déjà au Moyen-âge auxquels il faut ajouter le sens plus moderne en français (1891) de sommeil magnétique ou hypnotique qui vient de l’anglais trance, lui-même remontant à l’ancien français transe désignant donc l’extase. Intéressante boucle sémantique qui n’est pas sans rappeler les boucles utilisées en techno justement dans le dessein d’atteindre la transe.
Si l’on en croit Jean-Pierre Pernaud, les rassemblements techno, quel que soit le nom qu’on leur donne, ne sont qu’une sorte de congrès de jeune drogués désarticulés venant s’abrutir au son d’un bruit répétitif assourdissant. Il faut bien l’avouer, les tefeurs ne sont pas des John Travolta dans l’âme et ils ont malheureusement l’air franchement idiots à essayer de suivre le rythme d’une musique beaucoup trop rapide pour eux. Mais, ai-je l’air plus intelligent quand je secoue la tête de haut en bas en écoutant Metallica ?
La différence principale entre la transe rock et la transe techno est que dans le premier cas, on a l’impression que tout le monde s’accorde au même rythme et dans le second, chacun cherche son rythme personnel même au milieu d’une grande foule.
Toutes les sociétés connaissent leur propre expérience de la transe : cérémonies religieuses, célébrations diverses, amérindiennes ou celtes, voyages astraux, défonce psychédéliques, tests scientifiques, etc. … Prenons un exemple plus concret. Posez-vous dans un train, fermez les yeux et concentrez-vous sur le bruit particulier des roues du train. C’est une boucle rythmique familière, anodine et pourtant hypnotique.
Bref, la transe est le but ultime de la techno mais pas seulement. Toute musique possède une capacité à provoquer une forme plus ou moins forte de transe. Se pose alors la question : jusqu’où ira la techno, quelle voie prendra-t-elle ? Cette expression musicale est la seule dont l’avenir est lié absolument au progrès technique ; c’est l’enfant de l’industrialisation des sociétés. Pour trois euros, 3 euros !!, vous n’aurez pas la réponse mais peut-être, comme moi, ré-écouterez-vous d’une autre oreille les morceaux technoïdes qui ont envahi les ondes dès la deuxième moitié des années 80. J’en ai trouvé plein sur le Net que j’ai détesté à l’époque. Mais les temps changent…