Le Cardinal d'Espagne
de Henry de Montherlant

critiqué par Jules, le 28 décembre 2000
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Un merveilleux texte
Quel texte !… Quelle beauté dans les dialogues entre le cardinal et la reine Jeanne la Folle.
Pas un mot de trop, chaque parole pèse son poids et plus encore… du tout grand art !. Il y a de l’ascétisme dans le style de Montherlant et l’ascétisme, surtout parce qu’il est dépassé, désuet, a quelque chose de grandiose.
Nous sommes à Madrid en 1517. Au début de la pièce, nous assistons à des dialogues entre " Grands d'Espagne " rageurs et vindicatifs parce qu'ils s'estiment opprimés. Le sujet de toutes les conversations est l’arrivée prochaine du Roi d'Espagne, Charles Quint, qui arrive de ses terres de Flandres pour prendre possession de son trône. Ces nobles n'en peuvent plus de ce qu’ils appellent la tyrannie du Cardinal Cisneros. Celui-ci est le régent de fait du royaume à la place de Jeanne la Folle, depuis la mort de l'Archiduc d’Autriche, Philippe le Beau, mari de la reine Jeanne. Il est mort en 1508, soit depuis neuf ans. Ces dialogues permettent à Montherlant de montrer la lâcheté de cette noblesse qui estime que tout lui est dû, mais n’a plus le courage de se défendre. Charles Quint leur a été imposé et ils n'ont rien osé dire !.
Un exemple de répliques dites par deux nobles : " - Un homme à qui le pouvoir monte à la tête est toujours ridicule " et l’autre de lui répondre " Quelque chose qui fait peur peut-il être ridicule ? " Ils accusent le cardinal de n’aimer personne, pas même son neveu. Réponse : " On ne bâtit une oeuvre que dans l'indifférence terrible pour ce qui n'est pas elle. " Quelle vérité que cette réplique d’un noble, dégoûté : " (A la cour) . Si on lève la tête, on est écrasé ; si on la baisse, on est méprisé. Qui sert mal est puni par le prince, qui sert bien est puni par l'envie. "
Mais laissons les nobles et les courtisans pleurer sur leur sort et arrivons-en aux dialogues entre le cardinal Cisneros et Jeanne la Folle qui, pour la première fois depuis des années, a quitté son isolement complet. C'est avec la plus grande peine que Cisneros obtiendra que la Reine accueille son fils. L'ensemble de leurs dialogues porte essentiellement sur l'existence de Dieu et surtout sur la question que pose la Reine : comment Cisneros arrive à concilier les exigences politiques et celles de la religion. À quoi Cisneros répond que les exigences de Dieu et celles de la Castille se sont toujours rejointes, et ajoute : " Il est facile d'être pur quand on n'agit pas, et qu'on ne voit personne. "
Dans l’oeuvre de Montherlant, chaque théorie se vaut et de ce fait il est utile d’en changer. C’est la Reine qui prononcera cette réplique : " Le oui et le non sont pour moi comme deux mouches quand elles dansent accouplées : on ne distingue pas l’une de l'autre " Je terminerai sur cette phrase dite par le cardinal Cisneros : " Les hommes sont le mal. Comment ferait-on le bien, sans les contraindre ? "
Une très belle pièce et qui connut un énorme succès lors de sa première représentation à la Comédie Française en 1960.