Laguna nostra
de Dominique Muller

critiqué par CC.RIDER, le 13 janvier 2011
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Tout savoir sur Venise et ses habitants
A Venise au moment de l'aqua alta (inondation par grande marée), le cadavre d'un résident anglais fortuné est retrouvé, la gorge tranchée le long d'un rio, butant contre un escalier de marbre. Un bébé abandonné d'une jeune immigrée défunte est soustrait à un trafic d'enfants clandestins organisé par la mafia albanaise. Un escroc en oeuvres d'art convaincu de meurtre est très vite relâché grâce à l'intervention d'un avocat influent et peut-être marron. Une riche veuve un peu dérangée cherche à recruter une chorale de jeunes garçons aux voix d'anges pour leur faire chanter du Purcell. Les cadavres s'accumulant, un mafieux vénitien et une femme de l'Est responsable d'un réseau de prostitution par Internet venant encore compliquer le tout, le commissaire Campana se retrouve à ne plus savoir où donner de la tête. Heureusement il pourra bénéficier de l'aide de son extravagante famille.
Un roman policier (si peu) doublé d'une étude de moeurs de la faune particulière hantant les canaux et les palais de la célèbre ville des Doges. Tout ce qui arrive semble relever de l'incident. Les meurtres, les affaires louches (trafics d'oeuvres d'arts, d'enfants, chantage, prostitution etc...) se ramifient sans lien apparent, les gens s'accusent à qui mieux mieux de crimes qu'ils n'ont pas pu commettre et une pseudo-enquête progresse par bonds désordonnés en trois lignes au détour d'une page qui parle d'autre chose. Pour Mme Muller, l'intrigue policière n'est qu'un prétexte ou une vague toile de fond alors que son sujet principal est la ville où elle séjourne et que visiblement elle aime passionnément car elle la décrit en long en large et en travers avec ses innombrables oeuvres d'art, fresques, tableaux et plafonds peints. La vie des Campana, hobereaux désargentés et loufoques vu par le regard de la soeur du commissaire vieille fille aux petits soins pour son génial frère, est minutieusement décrite tout comme celle des vénitiens huppés et plus ou moins vicieux ou dégénérés sans oublier la triste condition de nombreux immigrés cherchant désespérément à grignoter dans le gâteau vénitien. On rêve à ce qu'un Tom Wolfe aurait pu tirer de pareils sujets... Là, on est dans l'indigeste, le décousu-recousu, le mal construit et l'enlisement dans les détails ou le bavardage. Les vrais amateurs d'intrigues policières ne trouveront pas leur compte, quant aux autres, ce livre leur permettra d'économiser l'achat d'un guide touristique...
secrets vénitiens 9 étoiles

"Laguna nostra" se passe à Venise, qu’on ne quitte quasiment pas. Des cadavres sont découverts, le cou égorgé. Mais très rapidement, on comprend que l’enquête sera très secondaire, au profit de l'atmosphère. Car le style, avec ses propositions longues (presque à la Proust), son vocabulaire somptueux, oblige le lecteur à s’alanguir dans les lagunes de Venise, ses odeurs de vase, ses lumières, la lenteur de la vie presque immémoriale dans le palais vénitien où vivent le commissaire Alvise Campana (nanti d’une femme romaine qui ne s’adapte pas à Venise), sa soeur Artemisia (la narratrice, restauratrice d’art), et leurs deux oncles, deux jumeaux déjantés, Igor le mystique et Boris le gros amateur d’art qui croit reconnaître un Caravage dans chaque vieille croûte qu'il déniche.

Ces trois derniers mènent d’ailleurs une enquête parallèle et vont aider leur frère et neveu à découvrir les nœuds du mystère, en assimilant les meurtres aux tableaux qu’ils connaissent, Judith égorgeant Holopherne, la décollation de Jean le Baptiste... On va découvrir au fil des pages Venise et ses migrants, ses trafics d'œuvres d'art, d’enfants et de femmes. C’est d’abord le roman de Venise : "L'orgueilleuse Venise qui n'a plus les moyens de son orgueil. Les fondations pullulent en ville. Les palais vides se succèdent sur les rives des canaux, et la chasse aux mécènes est notre sport local. L'acheteur de palais est aux Vénitiens ce que le phoque est aux Lapons, un gagne-pain rare et protégé".

Plus qu’aux amateurs de polars, on réservera ce superbe roman aux amoureux de Venise, dont je suis.

Cyclo - Bordeaux - 78 ans - 22 novembre 2016