Jacques Damour
de Émile Zola

critiqué par Zagreus, le 4 janvier 2011
( - 40 ans)


La note:  étoiles
Le temps perdu qu'on ne rattrape plus
Ancien communard déporté au bagne de Nouméa, Jacques Damour a attendu dix longues années de misère, d’errances en Amérique ou en Angleterre avant d’être amnistié et de rentrer à Paris où on le croit mort après une tentative d’évasion. Il se souvient très bien de son ancienne vie à Ménilmontant : ciseleur sur métaux, marié à Félicie (« une grande belle fille »), pauvre mais heureux avec ses deux enfants, Eugène qui « poussait gaillardement » et Louise « si chétive » pour qui il avait dépensé « beaucoup en médecins et en drogues. »
Tout bascule pendant le siège des Prussiens devant Paris. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de Berru, un peintre en bâtiment affamé. Celui-ci mange bientôt matin et soir à la table du couple. Il se dit patriote, tient des propos enflammés sur le gouvernement (« un tas de lâches »), prône la république et « la richesse à tout le monde, la justice et l'égalité régnant partout ». Ses discours inquiètent Félicie (son père est mort sur une barricade en 1848) mais impressionnent Jacques et surtout Eugène qui a maintenant 19 ans. L’armistice est conclu et les Prussiens défilent sur les Champs-Elysées. Et c’est le début de la Commune : le père et le fils font le coup de feu. Un jour, Eugène, garde national, est touché par une balle en pleine poitrine et meurt. Jacques Damour sanglote devant sa femme. Au dos d’une photographie d'Eugène, il écrit, avec la date et sa signature : « Je te vengerai ». Peu de temps après, il est fait prisonnier. Berru, lui, qui « avait eu l'habileté d'obtenir une bonne place dans l'intendance », a filé trois jours avant l’arrivée des troupes…
C’est cet « ami » justement que Damour retrouve par hasard sur le pont Notre-Dame. La mine « fleurie, l'air plus jeune », Berru lui apprend alors que Félicie s’est remarié avec un riche boucher des Batignolles, veuf, la soixantaine, nommé Sagnard. « Moi, à ta place, j'irais chez eux, et je m'installerais, et je flanquerais le Sagnard à la porte, s'il m'embêtait... » crie violemment Berru qui veut faire « danser la bourgeoisie ! » Les deux hommes, grisés par le vin, partent pour la boucherie… Quelle sera la réaction de Félicie en voyant Damour qu’elle croit mort ? Eugène va-t-il être vengé ? Et Louise, qu’est-elle devenue ?

C’est l’histoire d’un malchanceux, un faible manipulé par un hypocrite (Berru, après le départ de Damour, a tenté de se mettre avec Félicie), un lâche de surcroît, qui tient de beaux discours sur la révolution et « le bonheur universel ». L’histoire aussi d’un revenant (on pense au Colonel Chabert de Balzac) qui cherche à renouer avec un passé à jamais perdu (« le pauvre Eugène, vêtu de son uniforme de garde national, semblait une ombre d'émeutier, perdu dans la légende ») et qui ne trouve plus de place dans une société qui a irrémédiablement changé (La France de la Troisième République).
Publiée en août 1880, la nouvelle dépeint de manière terriblement ironique la Commune et fait le portrait cruel d’hommes intéressés, veules dont l’âme est trop petite pour tenir leur promesse ou faire vivre leur idéal politique… Zola est ici à son meilleur pour montrer les déterminismes qui président au destin d’un homme.