La poésie arabe contemporaine, vers un nouvel humanisme ?
de Éric Brogniet

critiqué par Kinbote, le 25 mars 2002
(Jumet - 65 ans)


La note:  étoiles
Pour découvrir la poésie arabe d'aujourd'hui
Ce livre s’inscrit dans une collection créée à partir de conférences données aux « Midis de la poésie » à Bruxelles, d'où le contenu forcément sommaire mais aussi visant à l’essentiel des sujets abordés.
Les deux principaux ouvrages auxquels se réfère le conférencier et auteur sont deux anthologies, celle de René Khawam, La poésie arabe, parue chez Phébus en 1997, et celle Norin et Tarabay, parue au Seuil en 1967, sous le titre d’ Anthologie de la poésie arabe contemporaine. Eric Brogniet nous apprend quelques données élémentaires pour aborder la poésie arabe.
La langue arabe est un outil idéal pour l’expression poétique car seules apparaissent sur le papier les consonnes, tandis que les voyelles invisibles symbolisent le souffle de la vie qui vient animer chaque corps.

« Un simple déplacement vocalique, une infime variation peuvent ainsi susciter des connotations et des sens variés à l'infini à partir de cette même racine. »
Le vers arabe, nous apprend-on, comprend deux éléments caractéristiques : le mètre et la rime. Celle-ci reparaît à la fin de chaque distique. La rime est l’homophonie de la dernière syllabe du distique ; elle court d'un bout à l'autre du poème, conférant au poème une unité musicale et un caractère incantatoire. Brogniet fait remarquer que le mot désignant le distique, bayt al-chi'r, et celui désignant la maison de poil, la tente, bayt al-cha'r, ne se distinguent que par une voyelle non écrite comme si l’indépendance des vers à l’intérieur du poème faisait écho à la tente au sein du campement.
La renaissance culturelle arabe ou Nahda date du 19 ème siècle ; elle s'est forgée dans le creuset des rapports entre nationalismes arabes et turcs dans le contexte d'une tentation intégriste et du colonialisme occidental mais aussi de celui de l'émergence de mouvements réformistes.
On nous informe que Le Caire et l’Egypte ont aujourd'hui repris le rôle politique et culturel prédominant qui fut, dans l’Histoire de l’Islam, celui de Damas et de Bagdad. Mais ce livre vaut surtout pour la découverte des grands noms de la poésie arabe d'aujourd'hui et de poèmes marquants qui vont favoriser pour ceux qui s’y intéressent la découverte plus avant de cette littérature.
En voici quelques-uns : Fawzi Al-Ma’louf, Libanais émigré au Brésil et mort à 39 ans, Khalil Gibran , 1883- 1931;Abou-Chabaki (mort au Liban en 47) :
« Sous tes seins, la fièvre est arsenal de phosphore. L’étoupe du désir les fera voler en éclats. . Oh, Sodome, au travers du brasier, Tu es ressuscitée , rouge, dans tes passions béantes Chaque génération à ta forge tord de vieilles chaînes Ivres de feu. . De mon coeur, dans les fêtes, tu as fait un poète. Sous ma plume , a coulé l’encre des paraboles, Comme si la véhémence de tes prophètes Ressuscitait en brasiers de paroles ! »



(Extrait de « Sodome »)
Ou encore le Syrien Al-Soufi, mort très jeune en Afrique,ou Adonis (né en 1930), un des plus grands poètes arabes actuels.
« Me voilà pareil au fleuve
et je ne sais comment en tenir les rivages moi qui ne sais rien
excepté la source
l’errance
où vient le soleil
comme magique l'herbe noire où se cabre le
soleil
comme une jument rouge voyante du bonheur du malheur, devin ou lion ou aigle qui dort
comme un collier
au front de l’éternité. » (extrait de « Mon corps est mon pays »)
Al Bayati, l’un des grands poètes de la modernité arabe ou Mahmoud Darwich, né en Galilée, qui s’est ensuite exilé à Paris puis à Tunis où il prit fonction de ministre de la culture du gouvernement palestinien en exil avant de retourner en Jordanie, où il est installé aujourd'hui.
Outre les poètes palestiniens , on nous signale le vivier des écrivains algériens avec Youssef Sebti ou Tahar Djaout , tous deux assassinés en 1993. Parmi le marocains, il y a Mohammed Bennis.
En Tunisie, il y a les grands exilés, Alain Suied et Hubert Hadad. En Egypte, Rifaat Sallam dont voici un extrait de "Femme ombre femme pour moi":
« Elle vient dans
sa maturité Me jette
sa chaleur méridienne
Corps d'orange amère Et trente-sept obéissances Villageoises
Lubricités en feu Et trente-sept maternités domestiques
Ses doigts


goût du matin Sa nuit


l'obscurité l'ignore



Nuit de petits soleils »
La Turquie possède Nazim Hikmet, pionnier du vers libre et Brogniet cite aussi Salman Rushdie au nombre des poètes arabes. Le grand poète d'expression française du Liban s'appelle Salah Stétié. Et en marge du monde arabe, un poète touareg, Hawad, avec lequel je vous propose de clore ce mini tour d’horizon.
« Qui se penchera sur la géomancie du scarabée sinon le rictus indifférent de l’ironie ? Guerriers insectes et rafales de buses et houx de sabots affûtant les sentiers sur vous s'appuie l’infini
Le velum de ma tente pour une sangle. » (extrait de « Testament nomade »)
Un livre-relais utile en cette période où on donne du monde arabe une image par trop négative au détriment de la culture en mouvement qui continue d'animer ses plus vifs représentants.