H.P. Lovecraft. Contre le monde, contre la vie
de Michel Houellebecq

critiqué par Dirlandaise, le 21 décembre 2010
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Une personnalité fascinante
Howard Phillips Lovecraft fait partie des écrivains d’adolescence de monsieur Houellebecq. Sachant cela, il est plus facile de comprendre le pourquoi de ce livre. Bien que très court, il est fort intéressant car il offre un excellent aperçu de l’homme et de son œuvre. Cet auteur américain était et reste fort étrange car, menant une vie extrêmement rangée et conventionnelle, il a couché sur le papier des histoires absolument hallucinantes et appartenant au domaine de la science-fiction la plus déjantée. Issu d’un milieu petit bourgeois, Howard Philips Lovecraft sera toute sa vie un réactionnaire farouche au racisme profond. Il admirera d’ailleurs Hitler pour ensuite le ranger dans la catégorie des clowns ridicules. Le livre met parfaitement en lumière la personnalité de Lovecraft et le dépeint sous un jour assez antipathique. Il est méprisant, collet monté, déteste les « nègres » qui écoutent de la musique rythmée et dansent dans les rues. Il affiche son mépris et ce racisme se retrouvera dans plusieurs de ses nouvelles. C’est un homme inadapté aux dures réalités de la vie et il ne parviendra jamais à gagner assez d'argent pour subvenir complètement à ses besoins. Il survit grâce à un modeste héritage et au prix d’un sens de l’économie exacerbé quand ce n’est pas son épouse qui l’entretient.

Tout au long de sa vie, H.P.L. souffrira d’une pauvreté extrême et vers la fin de sa vie, il sera en état de sous-alimentation. Mais l’homme est digne et jamais ne se plaint. Il quittera cette vie sans regrets et avec une élégance raffinée. Quelle étrange et fascinante personnalité !

Le livre de monsieur Houellebecq constitue une bonne porte d’entrée pour qui désire accéder au monde fabuleux de Lovecraft. En fin de volume, on retrouve quelques suggestions de lecture fort tentantes. Comment, après avoir lu ce livre, ne pas désirer plonger dans l’œuvre de cet homme captivant qui aura raté sa vie mais dont les écrits constitueront un héritage irremplaçable pour les amateurs de science-fiction et de littérature d’horreur ?

« Il n’appartient pas aux individus de notre classe de se singulariser par des paroles ou des actes inconsidérés. » H.P.L.

« Les choses organiques qui hantent cet affreux cloaque ne sauraient, même en se torturant l’imagination, être qualifiées d’humaines. C’étaient de monstrueuses et nébuleuses esquisses du pithécanthrope et de l’amibe, vaguement modelées dans quelque limon puant et visqueux résultant de la corruption de la terre, rampant et suintant dans et sur les rues crasseuses, entrant et sortant des fenêtres et des portes d’une façon qui ne faisait penser à rien d’autre qu’à des vers envahissants, ou à des choses peu agréables issues des profondeurs de la mer. » H.P.L.
Le reclus de Providence 9 étoiles

H.P. Lovecraft est probablement, avec Tolkien, l'un des auteurs les plus importants de la littérature fantastique. Le mythe dont il est le créateur se retrouve partout: dans les livres, au cinéma, dans les jeux vidéo, jeux de rôle ou jeux de table, et même dans la musique. Les hommages à son oeuvre ne peuvent plus être recensés et son influence est indiscutable.

Michel Houellebecq, enfant terrible des lettres françaises, signe cet essai sur le "reclus de Providence" avant même de publier son premier roman. Bien qu'il soit relativement court, on y retrouve des analyses pertinentes sur les principaux thèmes de l'oeuvre de Lovecraft, ainsi que des repères biographiques et des anecdotes de toutes les saveurs.

Bien entendu, Houellebecq y met tellement du sien que l'on peut pratiquement considérer ce texte comme faisant partie intégrante de son oeuvre personnelle. L'analyse qu'il fait de Lovecraft et de son oeuvre est fortement teintée de ses propres opinions, mais jamais au point de l'envahissement.

Ce livre peut parfaitement servir d'introduction aux textes de Lovecraft et être lu sans aucune connaissance préalable de ses écrits. Houellebecq réussit très bien à transmettre sa passion et à donner l'envie de (re)plonger dans l'univers de son sujet. Cet ouvrage est devenu, à juste titre, un incontournable pour tout amateur du mythe de Cthulhu.

ARL - Montréal - 38 ans - 3 février 2015


Un hommage de Houellebecq à Lovecraft en forme de biographie 8 étoiles

Cette biographie de Michel Houellebecq n'apportera pas d'élément nouveau aux lecteurs assidus de Lovecraft, souvent également fascinés (c'est d'ailleurs mon cas, qui ai découvert Lovecraft pendant mon adolescence) par la personnalité extrêmement complexe de Lovecraft (nota : la critique principale de Dirlandaise présente des raccourcis qui donnent une image très caricaturale de Lovecraft) dont la vie et l'oeuvre ont fait l'objet de plusieurs travaux et études (cf l'étude de Maurice Lévy, les notes de Francis Lacassin introduisant les oeuvres complètes et le tome 1 de la correspondance, etc.). Elle mérite néanmoins d'être lue, parce que Houellebecq est un écrivain qui mérite d'être lu (les digressions sur la création littéraire chez Lovecraft sont très intéressantes) et surtout parce qu'elle révèle que, malgré son inactualité intellectuelle radicale (Houellebecq soulignant à juste titre que le monde a évolué dans un sens qui rendent encore plus surannées les valeurs qui étaient chères à Lovecraft, qui serait sans doute mort dans la rue comme un clochard s'il était né en 1970...), l'oeuvre de Lovecraft fascine encore comme elle a fasciné les écrivains amateurs du début du XXème siècle rassemblés dans un cénacle autour du "solitaire de Providence" (Clark Ashton Smith, RE Howard, Robert Bloch étant les plus connus d'entre eux). Elle fascine parce qu'elle est sans compromis. Comme celle de Proust reclus dans sa chambre, la vie de Lovecraft se réduit à son oeuvre, et reflète l'engagement total de l'auteur dans sa création. Le fantastique chez Lovecraft est une volonté féroce de transcender le monde visible et la vision étriquée de l'homme moderne, incapable de faire face à l'altérité du cosmos. Il y a dans les grands textes de Lovecraft une volonté de dire l'indicible qui confine à la poésie pure, avec une puissance d'impact hallucinante sur le lecteur et un nihilisme latent qui semble signifier que l'humanité est sur le point de disparaître, qu'elle n'est qu'un accident et que de toute façon, la grande question n'est pas de résister aux forces hostiles qui nous menacent mais de mourir dignement, en témoin conscient et désabusé du monde décadent et voué à la destruction. A ce titre, Michel Houellebecq et Maurice G.Dantec me paraissent être, en France, les héritiers spirituels de Lovecraft. Cette biographie peut se lire comme un hommage de Houellebecq à un de ses grands inspirateurs...

Nota pour Dirlandaise : puisque vous êtes de Québec, n'hésitez pas à lire la longue description de la ville de Québec par Lovecraft, qui y effectua un de ses très rares voyages (peut-être le seul) hors de Providence et New York.

Eric Eliès

Eric Eliès - - 49 ans - 28 décembre 2011