Une rencontre
de Milan Kundera

critiqué par Bartleby, le 16 décembre 2010
(Piré sur seiche - 47 ans)


La note:  étoiles
Les affinités électives de Kundera
Dans la droite ligne de L’Art du roman, Les Testaments trahis et Le Rideau, Kundera réunit dans ce quatrième essai un ensemble de textes (certains vieux déjà mais retravaillés, d'autres inédits) dont il explique d'emblée le titre: «Une rencontre de mes réflexions et de mes souvenirs ; de mes vieux thèmes (existentiels et esthétiques) et de mes vieux amours (Rabelais, Janacek, Fellini, Malaparte…)…»
Méditations autour de l'énigme de la création à travers la peinture, la musique et la littérature, les neuf parties du recueil tissent des correspondances entre les arts dans leur rapport au rire, à la mort ou à la mémoire. Et parce que «quand un artiste parle d’un autre, il parle toujours (par ricochet, par détour) de lui-même», Kundera se livre comme il ne l’avait jamais fait auparavant et donne ainsi des pages subtiles et fulgurantes sur Leos Janacek (parenté entre l'esthétique du compositeur et les principes gouvernant sa propre écriture), Schönberg (anecdote frappante sur l’un de ses plus grands oratorios étrangement tombé dans l'oubli), Rabelais (et son refus de l’esprit de sérieux), sur le Céline de D’un Château l’autre (explication de la notion de "tralala", vanité consubstantielle à l’homme confronté à la mort), le Philip Roth de Professeur de désir (réflexion sur l’apparition de la sexualité dans la littérature), etc…

Moins savamment construit que les précédents, le recueil vaut surtout pour trois séquences phares :

- Une comparaison étonnante mais non moins éclairante entre l'univers du peintre Francis Bacon et celui de Beckett (questionnement sur la singularité des individus dès lors qu’ils sont réduits à de simples corps).
- Une belle réhabilitation de l'art romanesque d'Anatole France (notamment Les Dieux ont soif où l’humour est un rempart contre le pathos obligatoire): occasion de s’interroger sur l'anathème lancé autrefois contre lui par les jeunes poètes surréalistes et qui a occasionné l’un des préjugés négatifs les plus communément admis en France sur une œuvre littéraire (passage savoureux sur les "listes noires" qui alimentent le conformisme intellectuel).
- Un remarquable éloge des deux chefs-d'œuvre de Malaparte (Kaputt, et surtout La Peau) où la réalité documentaire est dépassée par une vision hallucinée, à la limite du fantastique, dans un mélange contre-nature de cruauté et de compassion, de désespoir et d'ironie qui permet d’élargir le domaine du roman (concept très intéressant d’ "archi-roman").

Qu'est-ce qu'une rencontre? Une «étincelle», répond Kundera. Nul doute que son livre, admirable d’intelligence et de sensibilité, le soit aussi pour le lecteur…