La ville dans le miroir de Mirko Kovac

La ville dans le miroir de Mirko Kovac

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Gilpro, le 15 décembre 2010 (Inscrit le 4 février 2007, 78 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (11 860ème position).
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Un grand écrivain fouille les sources dans son inspiration

Mirko Kovač est un des grands noms de la littérature d’ex-Yougoslavie (terme aujourd’hui prohibé, mais quel autre employer lorsque l’écrivain est revendiqué à la fois par la Croatie où il s’est établi après avoir dû fuir le régime de Milošević, la Serbie où il a passé la majeure partie de sa vie, le Monténégro où se situe aujourd’hui sa ville natale, et la Bosnie-Herzégovine où elle se situait lors de sa naissance ?) Kovač est un phénomène : quasi systématiquement condamnées par la critique communiste pour leur vision sombre du monde et leur farouche individualisme, ses œuvres n’en ont pas moins obtenu tout ce qui compte en fait de prix littéraires ; l’une d’elles s’est même vue privée d’un prix obtenu l’année précédente avant d’être retirée des bibliothèques et des librairies. Il a été traduit en de nombreuses langues et a obtenu deux prix internationaux importants pour l’ensemble de son œuvre (le prix Tucholsky du PEN-Club de Suède en 1993 et le prix Herder en 1995, au palmarès duquel il figure au côté d’auteurs comme Milan Kundera ou le Nobel Imre Kertész). Il est également l’auteur de scénarios de films, dont un présenté à Cannes et primé dans des festivals internationaux. Une longue et prophétique interview dans Libération l’a révélé en 1992 au public francophone et deux de ses ouvrages ont paru précédemment en français aux éditions Rivages.

La “ville dans le miroir”, récompensée par le prix Vladimir Nazor du meilleur roman croate de l’année, le prix August Šenoa de la Matica hrvatska, le prix Meša Selimović de la Ville de Tuzla pour le meilleur roman serbe, croate, bosnien et monténégrin, et le prix “13 juillet”, plus haute récompense littéraire du Monténégro, occupe une place à part dans une œuvre généralement qualifiée de post-moderne. Il s’agit en effet d’un récit autobiographique plutôt que d’un roman, que l’auteur sous-titre « Nocturne familial », tant sa famille regorge de zones d’ombre et de personnages ténébreux. Un récit que l’auteur a longtemps porté, remanié, renié puis repris, allant même, il y a de nombreuses années, jusqu’à retirer l’ouvrage de l’imprimerie à la suite d’un cauchemar.
La ville en question, c’est Dubrovnik, à quelques kilomètres de laquelle est né l’auteur, et qui, dans son enfance, exerçait sur lui une fascination quasi mystique. Elle nous vaut une longue et splendide narration d’une déambulation de l’enfant en quête de son père, commerçant pauvre, bohème et philosophe, une fois de plus disparu dans cette ville qui, régulièrement, “grâce à quelque sorcellerie, le capturait et séquestrait”. Ce qui n’empêche pas Kovač de se gausser des “ragusades” des “grands hommes” d’ex-Yougoslavie, mais aussi de membres de sa famille, qui s’inventaient une filiation avec la cité prestigieuse.
En nous offrant cette galerie de personnages, certains en détails et d’autres esquissés, les uns attachants, les autres médiocres, voire mauvais, l’auteur s’en tient aux faits, refusant tout pittoresque, s’interdisant même l’émotion qui n’en jaillit pas moins à chaque page, notamment celles, merveilleuses, qu’il consacre à son institutrice ou à l’accouchement de sa mère dans un train, pour culminer dans sa dernière rencontre avec le père, dont il découvre enfin la richesse intérieure dans le sanatorium où celui-ci attend placidement la mort.
Un tableau tendre, mélancolique, sans complaisance – et sans autocomplaisance – des premières années de la Yougoslavie titiste, infiltré de brèves réflexions sur la littérature et l’existence, empreint de la pensée que “notre vie n’aura pas été ce que nous avons vécu, mais ce dont nous nous souvenons.” Mais en plus et surtout, un grand moment de littérature, où un écrivain majeur fouille ses racines en quête des sources de son inspiration.

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Les éditions

  • La ville dans le miroir, nocturne familial
    de Kovac, Mirko
    MEO
    ISBN : 9782930333335 ; 25,00 € ; 07/09/2010 ; 250 p. ; Broché
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La ville dans le miroir - mes impressions

10 étoiles

Critique de Motis (Bruxelles, Inscrit le 26 février 2008, 79 ans) - 12 avril 2012

Mirko Kovač

La ville dans le miroir

Édition M.E.O., Bruxelles, 2010
(Traduction du croate par Spomenka Džumhur et Gérard Adam)

Pour achever l’aventure de la lecture de ce livre, signé par célèbre et valeureux écrivain Mirko Kovač, on rencontre la poésie essentielle et cachée dedans « N’éteignes pas la bougie, il est trop tard. » On a rencontré, avant presque quarante ans une telle poésie, de même source de l’inspiration, mais du sens opposé «Éteignes la bougie, tes mains ont ouvert la nuit.» Peu importe si Kovač avait rencontré cette poésie-là ou non, dans la littérature de la langue croate existent ces deux points marquant les extrémités d'une vie terrestre, sortant de même source s'exposant aux lecteurs. Nous irons chercher de bons moments littéraires entre les deux, sans nous mettre en risque d’en faire une critique purement littéraire.
En se souvenant d’un autre écrivain génial – de Bernard Shaw, qui a dit que la plus importante chose pour un roman est de lui donner le vrai titre. Et Kovač l'a fait. Au centre ou au milieu du roman brille la lumière du dernier rayon du soleil couchant en se posant sur le miroir qui le reflète l’image de la ville de Dubrovnik se trouvant d’autre côté de la montagne. Un miracle ? Bien que non. C’est une possibilité des lois d’optique. La ville est bien convoitée par les géniteurs d’auteur qui la croient, cette image, un mystère tout en ne connaissant la loi d’optique. L’âme du petit garçon, ce qui était l'auteur, à cette époque-là, le nôtre auteur est émerveillé par l’image dont il se lie à la sagesse et la bienveillance de son père et la tendresse de sa mère. Une image du rôle central de ce livre, à notre avis. Il y en a d’autres, du haut degré, mais ici se concentre le mystère de la littérature, parsemé à travers le livre. Même que l’apparition est décodée le mystère ne disparaisse pas. Kovač le fait possible et vrai, il le justifie par les moyens de son génie. Et comment !
Kovač fait des vrais vivants de sa famille les héros du roman. La vérité réelle et celle du roman s’égalisent sans perdre la vivacité l’une ou l’autre. Kovač a vécu un vrai roman et il le savait transformer d'un à l'autre univers. Et où est sa magie ? Dans la duplicité de personnage, par ailleurs. Il y a ici une institutrice Jozipa qui, dans le chapitre lui étant consacré est un être divinisé par l’écolier Kovač et puis à tour de rôle un être consciemment réel dans le milieu de nouveau système politique. Elle est la source de la beauté divine quand elle est un être libre et lâche s'il faut survivre à la dictature hypocrite. Idem pour tous les autres. Ô vous les autres, ça passe par le roman entier.
Puis, la ville de Dubrovnik, l’endroit qui l’émerveille tant que la ville où se passent enchantements de son père, les mystères de ses disparitions temporaires, que l’endroit où se nichent la beauté inaccessible de la culture toujours renouvelée et se réalisent les rêves d’un homme en initiation de la vie différant. Il comprend les escapades de son père faites à Dubrovnik. Il les accepte, car par là coule une autre vie qu’à Trebinje. Là où on aspire vers l’éternité et là où Mirko Kovač entre dans le mystère de la littérature du haut degré.
Malgré d’avoir fui la famille, comme ses autres membres, notre auteur fait, malgré lui ou peut-être qu'il le fait par exprès mais caché dans la mystique littéraire, une louange à elle, car la famille composée de membres libres, jetés dans la vie, ne peut pas les retenir enchaînés les uns aux autres, ils seraient étouffés sans la liberté. Et c’est la mère qui, par son amour inconditionnel, ouvre l’horizon de l’espoir. Mais, la mère a son double, la belle-mère qui a mis au monde tous ces êtres sans vergogne mais bien libertaires. Deux faces d’une seule idée, une égoïste et l’autre prête à tout donner pour garder en sécurité l’enfant mis au monde, même en un train. Et c’est une métaphore géniale, l’accouchement devant le nez des états primitifs de l’humanité qui considère la grosses comme une honte et tout cela dans le train qui transfère la famille d’une catastrophe à l’autre, tout en espérant le meilleur. Ce frère cadet serait-il lui aussi un mystère de ce livre? C'est qu'il n'existe pas en héros littéraire, ou presque. A lecteur est à réfléchir.
La vie qui se déroule entre deux points opposés, chez Mirko Kovač, n'est pas un vide mais bien un champ de bataille et de jouissance, l'espace où la bonté, très rarement, et le mal, souvent, s'entrelacent à ne pas les distinguer, comme une mer qui berce l'espoir et le naufrage dont les naufragés sont en une perpétuelle quête d’eux-mêmes. Et c’est la liberté qui conditionne tout, qui marque celui qui avait vécu une vraie vie. Au-dessus de toute la vie il y a une mélancolie méditerranéenne qui est propre à tous ces Dalmates et Herzégoviens. Les frontières politiques, ethniques, religionnaires n’ont rien à faire ici, au moins pour les sages. C’est une même mentalité.
Pour autant dire Mirko Kovač a fait une excellente mise en scène du temps et de l'essentiel du socialisme, si rude et hypocrite.
La liste de « bons moments » dans ce roman est quasi inépuisable. Et nous n’avons pas prise une telle tâche sur nous. Ce n’est rien qu’indiquer une œuvre qui se pose au sommet de la littérature croate au début du troisième millénaire. Pour conclure il faut dire que l’auteur a fait « jouer » tous ses personnages. Il n’y ni rien ni personne oublié, à part de ces qui sont mises sur le chemin de contemplation à faire par les lecteurs.


Il va de même de dire que Mirko Kovač a ajouté quelque chose nouvelle à la théorie du roman. Premièrement le dédoublement des caractères de ses héros et qui n'est pas une simple rashomoniade. Ce qui lui a permis de transformer la biographie en un vrai roman tout en gardant la singularité d'une biographie. Et puis, de la manière l'auteur obtient une couche de significations dans son oeuvre et par ceci il multiplie le sources de son onthologie. Il y en a encore mais cela dépasse notre objectif.

Dubrovnik, étrange et envoûtante

8 étoiles

Critique de Sahkti (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 49 ans) - 19 février 2011

Gilpro a déjà tant dit - et si bien - qu'il est difficile de compléter.
Je le rejoins totalement lorsqu'il évoque les émotions absentes et présentes à la fois. Mirko Kovač réussit à créer une distance, un recul bien visible qui permet de prendre davantage conscience de l'existence de sentiments forts. Les éléments sont présentés, bruts, sans effets ou pathos inutiles. Et pourtant, cette manière de faire n'empêche pas le lecteur de ressentir tout ce qui a pu/peut traverser l'auteur depuis son enfance. L'attachement pour cette ville est palpable, tout comme les êtres qui composent l'histoire familiale.
Procédé habile et bienvenu qui veut que le lecteur puisse occuper la place qu'il souhaite dans le récit, il est partout et nulle part à la fois, déambulant à son tour dans cette cité sur les traces de Mirko Kovač et vivant lui-même les événements qui ponctuent le récit.
J'ai apprécié ce choix narratif et cette vision de l'écriture, cette mise à l'écart par l'auteur de sa propre présence qui n'en est que plus éclatante et perceptible.

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